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nouvelle s’ouvrait donc devant le gouvernement mulâtre. Les exagérations et les faiblesses où il s’était laissé aller jusque-là, provenant surtout des nécessités que lui avaient créées l’antagonisme incessant de deux gouvernemens noirs, l’éventualité d’une invasion française et la trop grande inégalité numérique des deux couleurs, il était naturel de croire que, ces trois causes disparues ou atténuées, la politique jaune ne se manifesterait désormais que par ses bons côtés. C’est malheureusement tout l’opposé qui arriva. Boyer vit se tourner contre lui-même ses propres succès.

Christophe avait outré les rigueurs de l’ancien esclavage et même celles de ses deux devanciers noirs ; aussi la réaction d’indiscipline et de paresse qui suivit sa chute avait-elle été plus violente que jamais, et, comme dans le milieu où pénétrait brusquement ce nouveau flot d’émancipés rien n’était organisé pour le contenir, je laisse à penser quel débordement. Cependant, quand cette première effervescence se fut un peu calmée, que le morcellement du sol, en s’étendant du sud au nord, eut intéressé au maintien du nouveau régime la minorité laborieuse des anciens sujets de Christophe, et que la paix avec la France vint permettre de relever les restes de la grande culture, Bayer pensa qu’il était temps, pour son peuple, de consommer un peu moins de tafia et de produire un peu plus de sucre. Un code rural fut promulgué. Les cultivateurs étaient déclarés exempts du service de l’armée et des milices ; mais quiconque ne justifierait pas de moyens réguliers d’existence était tenu de s’engager comme cultivateur pour trois, six, neuf ans, et par contrat individuel, ce qui coupait court à la tyrannie des corporations dansantes. Malheureusement, comme il est impossible de désigner certaines choses autrement que par leur nom, quelques-unes des prescriptions réglementaires de ce code rappelaient trop littéralement l’ancienne discipline de l’atelier. Les sourdes rancunes qui s’agitaient autour du parti triomphant, et qui s’étaient déjà révélées par quatre ou cinq conspirations successives de généraux noirs, ne manquèrent pas d’exploiter ces analogies : Sonthonax, Toussaint, Christophe avaient donc dit vrai, et la classe de couleur n’avait jusque-là flatté les noirs que pour les désarmer et les opprimer ensuite à l’aise ! Boyer recula devant ce réveil subit de préventions que les mulâtres avaient mis trente ans à dissiper, et on lui a reproché trop durement cet aveu d’impuissance. Par cela seul, en effet, qu’il n’était plus groupé autour de Christophe et du roi bandit de la Grande-Anse, le parti ultra-africain se trouvait maintenant partout, semant jusque dans la portion la plus docile des masses ses vieux fermens d’ignorance et de haine, n’attendant peut-être qu’une provocation pour se relever sur vingt points à la fois, et d’autant plus à redouter que le spectacle de la tyrannie noire n’était plus là pour neutraliser les antipathies de