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— Ne rions pas, hélas ! N’avons-nous pas eu aussi nos mulâtres-nègres ? — C’est à la mort de Dessalines que cet antagonisme éclata.

Dessalines, c’était Toussaint, mais doublé de Biassou et de Jeannot, et Biassou et Jeannot avaient fini par avoir le dessus, de sorte qu’un régiment le tua un beau jour à l’affût et sans cérémonie, comme on tue un loup enragé. De ce que le meurtre fut accompli dans la partie méridionale, où dominait l’influence des hommes de couleur, et de ce qu’il eut pour signal celui du général de couleur Clairvaux, on a conclu que ce n’était là qu’une réaction de mulâtres contre la domination noire. En réalité, les deux castes en étaient. On avait persuadé à Dessalines qu’il ne serait pas le maître tant qu’il ne se serait pas débarrassé de ses anciens égaux, les généraux de la guerre de l’indépendance, et le second personnage noir de l’empire, Christophe, qui était le plus menacé par ce système d’éliminations sommaires, se mit à la tête de la conspiration. Les mulâtres se sentaient si peu préparés au pouvoir, qu’ils furent les premiers à le lui déférer ; leur ambition se bornait pour le moment à conquérir, par l’établissement du régime parlementaire, quelques garanties contre les tendances autocratique du gouvernement noir et la part d’influence que ce régime assure à la classe la plus éclairée ; mais c’est là même que s’opéra la scission.

Christophe, irrité des restrictions que l’assemblée de Port-au-Prince apportait au pouvoir exécutif, lui enjoignit de se dissoudre, et marcha contre elle juste au moment où les constituans lui décernaient la présidence de la république. Cette boutade nègre était surtout à l’adresse des hommes de couleur : la peur contribua pour le moins autant que leurs susceptibilités démocratiques à leur mettre les armes à la main. Pétion alla à la rencontre de Christophe, et, après une courte lutte, les deux influences se classèrent comme au temps de Toussaint et de Nigaud[1]. La partie méridionale, ce qu’on nomme le sud et l’ouest, déféra la présidence au chef de couleur, qui, réélu deux fois de suite et finalement nommé à vie, apporta dans l’exercice du pouvoir une simplicité et un désintéressement que nous n’osons plus dire républicains. Le nord se soumit, de son côté, au chef noir, qui, moins de cinq ans après, le 28 mars 1811, se proclama roi d’Haïti sous le none de Henri Ier. Ce n’était plus cette fois un monarque à la façon de l’empereur Dessalines, jetant de temps à autre son manteau impérial aux

  1. Rigaud apparut lui-même, peu de temps après, dans le sud, et se fit une république dans celle de Pétion. Un commun instinct de conservation empêcha seul les deux chefs de couleur d’en venir aux mains. Rigaud mourut bientôt, et son successeur Borgella se soumit à Pétion.