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lieutenant. Peu après, Toussaint est promu au grade de général de division, ce qui plaçait tous les généraux de couleur sous les ordres d’un ex-colonel des bandes de Jean-François. L’un d’eux, André Rigaud, qui n’avait pas cessé de donner d’éclatantes preuves de dévouement à la république, s’indigna de ce passe-droit, et, tout en restant fidèle à la métropole, qui ne lui rendit que trop tard sa confiance, il refusa de soumettre le sud, où il commandait, à l’autorité de Toussaint. Ce n’était là qu’une question d’ancienneté ; mais celui-ci, entretenu dans ses défiances par les agens français, par les Anglais et surtout par les planteurs, qui avaient déjà adopté le Caussidière noir, n’y vit qu’une susceptibilité de caste, le dédain du mulâtre pour le noir. L’extermination de ce qu’on nommait déjà à son tour l’aristocratie de la peau devient dès-lors son idée fixe et publiquement avouée. Après de sanglantes péripéties, durant lesquelles le gros des hommes de couleur achève de se grouper autour de Rigaud, celui-ci, qui avait commis la faute de s’arrêter à administrer, au lieu d’aller mettre à profit le mouvement qui se manifestait en sa faveur dans l’ouest, est expulsé par son compétiteur noir, qui fait massacrer des milliers de mulâtres.

Tel fut le premier acte de cette guerre de couleur qui dure encore en Haïti. Est-ce bien la classe métisse qui en a pris l’initiative, comme on le répète avec tant d’affectation ? Le malentendu d’où cette guerre est sortie fut au moins égal des deux parts, et c’est le chef noir, constatons-le bien, qui s’arma seul ici des haines de caste jetées entre les anciens et les nouveaux libres pour les diviser. Ce n’est pas tout : en dépit de la farouche obstination de Toussaint à prendre la peau pour cocarde, les noirs du sud et d’une partie de l’ouest qui, depuis le commencement de la révolution, avaient accepté la direction des homme de couleur et s’en étaient bien trouvés, restèrent du côté de Rigaud et formèrent de fait, comme ils continueront de former, la majorité de ce qu’on nomme le parti mulâtre.

En résumé, aristocratie, tiers-état, sang-mêlés, tous les étages de l’ancienne société coloniale s’étaient successivement écroulés l’un sur l’autre, et le pouvoir métropolitain, à chaque craquement, avait aidé d’un coup d’épaule à la chute. Ce n’avait été que pour tomber à son tour.

À peine nommé général de division, Toussaint n’avait eu rien plus pressé que de se débarrasser de Laveaux et de Sonthonax, en les faisant élire députés. Celui-ci, qui se défiait déjà de son protégé, mettait une hésitation visible à s’éloigner. Toussaint joua au naturel la scène de M. Dimanche, et, tout en accablant Sonthonax de protestations, le poussa doucement par les épaules jusqu’au vaisseau qui devait emporter ce surveillant importun. À l’arrivée de l’envoyé du directoire Hédouville, les projets d’indépendance de Toussaint, encouragés par Anglais, qui, en évacuant pas à pas le territoire devant l’agent français