Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/783

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

officiel de cette réaction. Les planteurs changent momentanément de tactique. Ils affectent de renoncer à leurs projets d’indépendance, s’arment contre l’autorité métropolitaine des idées démagogiques, et parviennent ainsi à se faire dans la lie de la population blanche un parti nombreux ; mais le gouverneur Peinier, appuyé par la partie saine du tiers-état colonial, dissipe l’assemblée insurrectionnelle de Saint-Marc.

C’est ici qu’un troisième élément apparaît sur la scène et va prendre vis-à-vis de l’ensemble de la population blanche le rôle qu’avait eu le tiers-état colonial vis-à-vis des planteurs. Tandis que les colons discutaient sur la liberté et l’égalité, les affranchis n’avaient pas bouché leurs oreilles. Plus que d’autres, ils avaient droit de voir dans la révolution un bienfait ; car, par cela même que leur couleur les deux tiers étaient de sang mêlé), leur éducation, leur qualité de libres et de propriétaires, les faisaient toucher immédiatement à la caste blanche, c’était surtout pour eux que l’ombrageuse susceptibilité du préjugé colonial se plaisait à rendre la démarcation blessante et dure. Le décret du 8 mars 1790 leur conféra, en effet, des droits politiques ; mais ce décret souleva dans tous les rangs de la population blanche une réprobation telle que le gouverneur lui-même concourut à en empêcher l’exécution. En vain les affranchis prirent-ils les armes en faveur de la métropole dans la lutte soutenue par le gouverneur contre l’aristocratie coloniale. Celui-ci, après la victoire, ne leur en sut pas le moindre gré, et poussa le dédain jusqu’à leur refuser l’autorisation de porter le pompon blanc, qui servait à distinguer le parti royaliste. Les mulâtres abandonnèrent ce parti, et un nouveau décret, par lequel l’assemblée constituante rétractait le décret du 8 mars, compléta la rupture. Je ne cite que pour mémoire le soulèvement avorté des mulâtres Ogé, Chavannes et Rigaud. Troisième décret qui restitue leurs droits politiques aux affranchis : nouvelle résistance des blancs. Le parti démagogique s’insurge contre l’autorité ; le parti aristocratique ou des indépendans offre la colonie à l’Angleterre ; le parti royaliste, tout aussi hostile que les deux autres aux mulâtres, ne trouve rien de mieux, pour tenir en respect les planteurs, que de soulever sous main les noirs, et les mulâtres, qui avaient fait de leur côté une nouvelle prise d’armes pour soutenir leurs droits contre la caste blanche, recueillent tout le bénéfice de cette intervention des noirs, parmi lesquels ils font même de nombreuses recrues. Je n’ai pas à raconter ce sanglant imbroglio où les trois factions blanches, — car, aux colonies comme en France, le parti royaliste lui-même était déjà condamné au rôle de faction, — se virent successivement réduites à traiter d’égal à égal avec les affranchis. Un fait y domine tous les autres : sentant que leur unique point d’appui était dans la métropole, les nouveaux