Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/779

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L'EMPEREUR SOULOUQUE


ET


SON EMPIRE.




PREMIERE PARTIE.





Ça pas bon ; ça senti fumée…
(L’EMPEREUR DESSALINES.)


Le sujet que j’aborde m’attire et m’embarrasse tout à la fois. J’ai à parler d’un pays qui a des journaux et des sorciers, un tiers-parti et des fétiches, et où des adorateurs de couleuvres proclament tour à tour, depuis quarante ans, « en présence de l’Être suprême, » des constitutions démocratiques et des monarques « par la grace de Dieu. » Ce que j’ai à raconter de ce pays et surtout du chef qui le gouverne laisse encore bien loin et ce qu’on en sait et ce qu’on en pourrait imaginer ; mais, dans cette tragi-comédie qui aura pour dénoûment, après tout, la condamnation ou la réhabilitation finale d’un quart de l’espèce humaine, n’y a-t-il donc qu’un intérêt de curiosité à poursuivre ? Ici commencent mes hésitations. Le monde noir dont nous allons déchirer le rideau offre en effet, dans le même incident et souvent dans le même homme, une telle confusion de contrastes ; la civilisation et le Congo, le touchant et l’atroce, le grotesque et le sang humain s’y mêlent, s’y pénètrent, s’y coudoient avec une telle brutalité d’invraisemblance et d’imprévu, qu’en restant scrupuleusement véridique, je risque d’autoriser à la fois les préventions les plus opposées. Que ceci soit donc bien entendu d’avance : les sentimens qui me guideront dans ce récit,