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REVUE. — CHRONIQUE.

toresques. Il circule dans toutes les pages un souffle permanent de prédication protestante qui se mêle au récit, et ne fait que s’accroître à mesure que l’auteur pénètre dans la Palestine et approche de Jérusalem même. On se trouve, en vérité, trop partagé entre l’attrait qu’inspire la touriste et l’impression un peu différente que fait naître cette intensité de préoccupation méthodiste. La voyageuse ne vise à rien moins, en effet, qu’à l’héroïsme chrétien, au rôle d’une missionnaire volontaire de la Société biblique. Elle ne court point, sans doute, de rares périls, et n’a point à subir de persécutions. Elle voyage même, si vous voulez, assez commodément sur son petit cheval grec, auquel elle donne le nom un peu ambitieux peut-être de Porteur de malice, ou sur la cange du Nil, se plaignant au besoin de l’absence d’œufs frais et prenant ses précautions pour avoir de l’eau pure. Elle n’en accomplit pas moins sa mission propagatrice, distribuant d’une main libérale le Nouveau Testament, le Petit Joseph ou le Chrétien de Bunian. Braves descendans d’Alcibiade dispersés dans les campagnes de la Grèce, pauvres nègres de l’Egypte, Arabes de Syrie, savez-vous lire ? Ce serait un grand bonheur ; si vous ne le saviez pas par hasard, ce ne serait pourtant pas encore un motif pour arrêter les distributions de l’ardente touriste. L’auteur du Journal se livre ainsi, chemin faisant, à une véritable pêche miraculeuse des âmes, ce qui ne laisse point que d’être tranquillisant pour une bonne conscience méthodiste qui a soif de convertir le monde.

Les missions anglaises ou américaines, qui cherchent à prendre racine en Orient, trouvent, on le pense, dans Mme  de Gasparin un zèle inépuisable d’admiration et d’apologie ; elle décrit minutieusement la vie de l’évêque protestant qui siège à Jérusalem, des missionnaires établis en Grèce ; elle nous initie à leurs vertus domestiques, à leurs œuvres, à leurs luttes héroïques ; elle nous raconte même comment son compagnon de voyage a cru devoir assister l’un de ces derniers dans un procès soutenu contre le gouvernement grec, et il faut voir, au contraire, comment les couvens où l’auteur reçoit l’hospitalité, les pauvres moines de Syrie, le paysan grec qui tient à son image de la Vierge fixée sur le mur, tout ce qui, en un mot, porte quelque reflet de catholicisme est malmené par cette verve de bon goût, cette humeur vive et légère, cette délicate et élégante ironie, qui sont, comme on sait, les qualités dominantes de l’esprit méthodiste. Il y a sans doute dans cet attachement jaloux à son propre culte, dans cette candeur de foi passionnée et exclusive, dans cette ardeur de prosélytisme, un sentiment qu’il faut respecter ; mais n’y a-t-il pas aussi une limite au-delà de laquelle, outre le bon goût qu’on brave, on risque de tomber dans l’injustice envers les autres croyances ou dans la puérilité ? Rien n’est plus équitable que de reconnaître le zèle avec lequel les missionnaires anglais et américains s’efforcent de propager leur foi par la prédication, par la dissémination de leurs livres, par l’instruction des enfans dans les pays où ils s’établissent. Et que direz-vous de ces prêtres répandus aujourd’hui au Maduré, dans le Tong-King, dans la Chine, dans la Cochinchine, à Siam, dans la Tartarie, qui baignent de leur sang ces contrées barbares et trouvent toujours de nouveaux successeurs ? Les caprices du dilettantisme protestant de Mme  de Gasparin, à l’égard de tout ce qui touche à la pensée catholique, me rappelaient involontairement quelques lettres que j’ai eues sous les yeux, écrites par un pauvre prêtre qui est en ce moment encore dans la Cochinchine. Ces lettres