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crâne dont, à la différence des têtes vivantes, il ne sort jamais rien de triste. »

Devant la maison, sur la pelouse, s’élève un chêne isolé on ne sait pourquoi il est là. Comme arbre, il est agréable à voir ; mais, comme détail dans le paysage, on ne peut nier qu’il n’en gêne la vue. C’est ce que remarqua tout d’abord le colonel Wildman, en prenant possession du domaine : « Voici un beau jeune chêne, dit-il à un de ses gens ; mais il faudra le couper, la place n’en veut pas. » Il ne savait pas que ce chêne avait été planté par lord Byron, lors de sa première arrivée à Newstead, à l’âge de dix ans. Ce souvenir l’a rendu cher au colonel et le beau jeune chêne entre majestueusement dans l’âge mûr. Celui qui l’a planté y avait attaché une idée de destinée commune. Aussi long-temps que l’arbre prospérerait, avait-il dit, il prospérerait lui-même. Neuf ans après, revenant à Newstead, il trouva son chêne presque étouffé par les ronces et languissant ; il en fit le sujet de vers plus agréables que neufs, qui, pour le tour, sentent le grand poète, et, pour le fond, le penseur de collége. Deux ans le séparaient encore de sa majorité. « Sitôt que la virilité aura couronné ton jeune maître, dit-il, c’est lui qui prendra soin de son arbre. Ah ! ne te couche pas ainsi, mon chêne ; relève un moment la tête. Avant que cette planète ait fait deux fois son glorieux tour, la main de ton maître t’apprendra, encore à sourire ; le temps d’épreuve de l’enfant sera passé[1]. »

Au-delà de la pelouse est la pièce d’eau où Byron s’exerçait soit à nager, soit à manœuvrer un bateau ; il y avait pour compagnon unique un chien de Terre-Neuve dont il s’amusait à éprouver l’adresse et la fidélité, en se laissant tomber comme par accident du bateau et tirer au rivage. On voit dans les jardins le tombeau de ce chien, avec l’épitaphe si connue, qui lui donne « toutes les vertus de l’homme sans ses vices. » Byron voulait y être enterré lui-même avec son vieux domestique Murray. On n’a pas respecté sa volonté, son corps a été réuni aux sépultures de sa famille, et quant au vieux Murray, il déclara qu’il ne lui convenait point d’être enterré seul avec le chien. Ce tombeau du chien scandalise plus d’un visiteur ; il attriste tout au moins le plus grand nombre. Le chien est sans doute un bien bon ami ; mais n’est-ce pas la faute de l’homme si c’est le meilleur ou le seul qu’il ait ? et cela ne prouve-t-il pas qu’il n’est capable d’aimer que ce qu’il n’a pas besoin, de respecter ?

Le souvenir du lac de Newstead a inspiré deux fois lord Byron.

  1. Ah ! droop not my oak ! lift thy head a while.
    Ere twice round von Glory this planet shall run,
    The hand of thy master will teach thee to mile.
    When infancy’s years of probation are done.
    Cette pièce est de 1807. Elle n’a été publiée que dans les éditions postérieures à 1830.