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Trop d’enfans qui l’éveillent,
Trop d’berceaux à bercer,
Trop d’soucis à penser !

Quand vous aurez vieilli,
Madame la mariée,
Qu’dans vos fill’s et vos fils
Votr’ forc’ sera passée,
Vos fill’s se marieront
Et vos fils vous laîront.

Jamais ne vous plaignez
Ni grondez davantage.
Il faut que vous soyez,
Pour la paix du ménage,
Plus solid’ que l’acier
Et plus soupl’ que l’osier.

À chaque couplet, on s’arrêtait pour remplir les verres ; un des parens criait : — A la santé de la mariée ! — Et tous répondaient en levant la main : — Honneur !

La chanson achevée, la foule se dispersa. Nous sortions avec le Parisien, quand nous aperçûmes Pierre-Louis et quelques autres saulniers attablés dans une pièce reculée. À la vue du douanier, ils semblèrent se consulter, puis l’appelèrent en l’engageant à leur tenir compagnie.

— Viens trinquer, gabelou, c’est du condor ! lui cria d’une voix. triomphante Pierre-Louis, qui me parut avoir commencé à noyer son chagrin.

— Connu ! répliqua le Parisien, c’est comme qui dirait le château-margot du pays !

Et, se tournant vers moi avec une grimace narquoise :

— Ça ne vaut pas tout-à-fait le piqueton d’Argenteuil, ajouta-t-il plus bas ; mais il ne faut jamais humilier ceux qui régalent.

À ces mots, il nous salua d’un air léger et alla rejoindre les buveurs.

La nuit commençait à tomber. Comme nous traversions la rue, j’aperçus une fenêtre où brillait déjà une lumière. Je reconnus la maison de Jeanne. Avant de retourner chez mon hôte, je lui demandai la permission de le quitter quelques instans pour visiter la saulnière et m’informer de son fils. Rien n’était changé dans son état ; mais, soit que les forces de la mère eussent cédé, soit que l’isolement eût exalté son inquiétude, elle me parut moins maîtresse d’elle-même. Ses yeux étaient rouges, sa voix brève, ses mains tremblantes.

— Le petit Pierre mourra ! me dit-elle en regardant le berceau avec un accablement égaré.

Je voulus la rassurer ; elle m’écouta sans prononcer un mot, sans