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Faut jamais se tourmenter avec les petits ; le mal les abat tout de suite ; mais ça repousse comme l’herbe foulée.

Jeanne se pencha sur le berceau pour chercher une espérance. Les voisines étaient parties ; on n’entendait que la respiration oppressée de l’enfant. Le saulnier resta un instant debout, roulant son feutre et tâchant de reprendre de l’assurance.

Allons, je n’ai plus peur ! dit-il enfin ; ce sont ces causeries de femmes qui m’avaient brouillé le cœur. Regarde donc s’il est seulement pâle, notre chérubin… et comme il respire fort… Sois calme, va, pauvre fille, le bon Dieu ne nous fera pas encore de chagrin cette fois !

La saulnière joignit silencieusement les mains sur les bords du berceau ; elle priait sans doute en elle-même.

Pierre-Louis ajouta encore beaucoup de remarques par lesquelles il prétendait la rassurer, et qui réussirent au moins pour son propre compte. Habitué à traverser les sensations sans s’y arrêter, il avait bientôt oublié ses craintes et se retrouvait à peu près revenu à sa joyeuse confiance. Il se rappela alors que les mules attendaient à la porte, et il sortit pour les ramener à leurs maîtres. Je pris également congé de la jeune mère, en promettant de revenir m’informer de son enfant.

Le saulnier me montra, chemin faisant, la maison de l’hôte chez lequel j’étais attendu. C’était un Lorrain marié à Saillé, où le commerce du sel l’avait enrichi. Les habitans du bourg, fidèles à leur habitude de sobriquets pittoresques, l’avaient appelé M. Content, et jamais surnom ne fut mieux mérité. Il avait long-temps essayé de tout sans réussir, sans se décourager et., chose merveilleuse, tant d’échecs n’avaient pu l’aigrir. Dans cette longue expérience des hommes et des choses, il avait seulement retenu ce qui devait les lui faire aimer ; de chaque misère il ne savait plus que la joie qui l’avait suivie. C’était une de ces natures d’abeilles qui sur l’absinthe même ne peuvent recueillir que du miel. Désormais à l’abri des orages, il se plaisait à embellir son nid. La maison qu’il habitait, bâtie entre deux parterres et surmontée d’une petite volière en galerie, n’était que ramages et parfums. On me reçut comme si j’y eusse apporté le printemps. Maîtres et serviteurs attendaient le monsieur sur le seuil ; tout avait été préparé pour le recevoir. Depuis trois jours, c’était la préoccupation de chaque instant. J’aurais été honteux de tant d’efforts, si je n’avais su que la bonté se paie elle-même. Je me décidai donc à jouir franchement et sans réclamations de tout ce que l’on faisait pour moi ; ma joie était la meilleure reconnaissance.

M. Content (le lecteur me permettra de lui laisser ce nom) connaissait le but de mon voyage, et nul n’était plus capable de m’aider à l’atteindre. La presqu’île lui était depuis long-temps connue, il avait