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III. - LES MARAIS SALANS.

Nous trouvâmes l’enfant au plus fort d’une maladie éruptive qui me parut avoir un très mauvais caractère. On avait fait venir un médecin qui avait laissé une ordonnance sans donner grand espoir. La fièvre rouge décimait alors tout le pays de Guérande, et il était peu de maisons où elle n’eût laissé quelque berceau vide.

Jeanne en fut aussitôt instruite par les voisines accourues autour de l’enfant malade. Étrangères à ces tendres précautions qui tâchent de nous épargner l’inquiétude en nous cachant le danger, elles lui firent boire d’un seul trait la coupe d’amertume. Il fallut écouter les noms de toutes les mères dont les fils avaient été conduits au cimetière, entendre pleurer d’avance celui qui vivait encore, et supporter de vulgaires encouragemens qui ôtaient l’espoir sans consoler. J’admirai la manière dont Jeanne endura ce coup. Après le premier étourdissement de la douleur, elle sembla retrouver son calme dans la grandeur même de l’épreuve. Elle essuya ses yeux, étouffa ses sanglots ; une sorte d’énergie sereine éclaira son visage. Écartant les parens qui entouraient le berceau du malade, elle se mit à lui donner les soins nécessaires et à reprendre, pour ainsi dire, possession de sa maternité. Il était facile de voir qu’elle comprenait son malheur, mais qu’au lieu de le déplorer elle voulait le combattre, et qu’elle ajournait les larmes. Au milieu des irritantes lamentations des femmes qui l’entouraient, elle s’informait avec une patiente douceur de la durée de la maladie, de toutes ses circonstances, des prescriptions du médecin ; elle accomplissait sans rien dire celles qui avaient été négligées, revenait vers l’enfant au moindre gémissement, employait pour l’apaiser ces mille câlineries que savent inventer les mères, et s’efforçait de le réaccoutumer à ses caresses et à sa voix.

La conduite de Pierre-Louis avait été toute différente. Après s’être associé aux plaintes bruyantes des voisines, il avait fini par s’asseoir à quelques pas, accusant son voyage, poussant, des soupirs ou des malédictions, et épuisant toutes les expressions banales d’une douleur qui veut en finir avec elle-même. Ce tumulte de désespoir ne tarda pas, en effet, à s’apaiser. Il s’approcha du berceau, et trompé, moitié de bonne foi, moitié parce qu’il le voulait, à la vue de l’enfant, dont les traits étaient allumés par la fièvre, il déclara qu’il paraissait mieux.

— Que le bon Dieu le veuille ! dit Jeanne avec une douceur qui m’attendrit.

— C’est sûr qu’il le veut, reprit Pierre-Louis, qui tenait à se rassurer ; vois plutôt comme il dort ! Pauvre fiot ! ça ne sera presque rien.