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Les plates-bandes et les fleurs forment le fond ; les petites allées de sable jaune qui les dessinent figurent les lettres. Au-delà de la grille d’entrée s’étend une belle pelouse, et au-delà de la pelouse un vallon large et évasé se creuse en pentes douces entre deux rangées de collines, descend vers le couchant, puis se relève et remonte insensiblement, pour s’y confondre, vers les hauteurs qui bornent l’horizon. Au fond de cette coupe et sur ses bords, le paysage anglais déploie toutes ses richesses, bois, prés, eaux limpides, haies verdoyantes, bouquets d’arbres, paysage opulent, beau comme ce qui est riche, mais qui ne pénètre pas. Marie n’en avait pas la vue des fenêtres de sa prison. La façade de l’ancien château regardant le nord, son appartement ne recevait le soleil qu’obliquement, le matin et le soir, et ne voyait le wallon que de côté. C’est sans doute pour avoir connu l’incommodité de sa nouvelle demeure qu’Élisabeth d’Hardwicke voulut qu’elle fît face au vallon et reçût tout ce que l’Angleterre a de soleil.

Le portrait de la fondatrice d’Hardwicke se voit dans la galerie, près de celui de Marie Stuart, qu’on dit avoir été ressemblant et qui la représente en deuil avec un voile. Elle avait alors trente-six ans. Si c’est là Marie Stuart, sa beauté ne devait plus, dès ce temps-là, faire ombrage à Élisabeth. La figure d’Élisabeth d’Hardwicke est fine, intelligente, mais revêche. La couleur de ses cheveux, un air de ruse et d’autorité, la feraient prendre pour Élisabeth elle-même ; elle lui ressemble et s’appelait du même nom qu’elle, Bess, qui est le diminutif d’Élisabeth : Bess of Hardwicke, digne geôlière de la bonne reine Bess, comme on nommait Élisabeth.

À quatorze ans, Bess était orpheline et riche héritière. Son premier mari, un enfant comme elle, mourut après peu de mois de mariage, en lui laissant de grands biens. Veuve avant d’avoir toute sa beauté, spirituelle, déjà ambitieuse, très recherchée, elle fit attendre sa main jusqu’à vingt-quatre ans. Un favori de Henri VIII, sir William Cavendish, enrichi par ce prince dans la vaste distribution des biens du Clergé, obtint la jeune veuve au prix d’un contrat qui lui assurait toute sa fortune. Il échangea pour lui plaire tout ce qu’il possédait dans son pays contre des terres dans le Derbyshire, et il y bâtit Chatsworth, aujourd’hui la royale demeure du duc de Devonshire, descendant de ce deuxième mari, et depuis 1694 le sixième duc de cette puissante maison.

Sir William Cavendish mourut, et Bess resta veuve de nouveau avec six enfans. L’opulente douairière se laissa bientôt attendrir par d’autres possessions que vint mettre à ses pieds sir William Saint-Loo. Il était veuf lui-même et avait des enfans. Il les dépouilla au profit de ceux de sa femme, qu’il laissa peu après veuve pour la troisième fois, mais veuve de quarante ans à peine et nullement dégoûtée du mariage, qui