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la pauvreté de ses pensées ? Ce parleur inépuisable qui fait de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’ame des moyens de dictature, à peu près comme son maître en faisait le thème de belles périodes pour écraser les philosophes ses ennemis, cet homme orgueilleux et solitaire qui résume toute une révolution dans la suprême adoration de lui-même, n’est-il pas le fils, bien infime sans doute, mais trop reconnaissable, de l’écrivain qui avait nourri de sa creuse métaphysique la génération tout entière ? Le plus cruel châtiment de Rousseau est d’avoir enfanté Robespierre, et la pierre de touche des idées politiques de l’auteur d’Émile est donc l’application qu’en a tentée le sanglant triumvir. Robespierre a été le metteur en œuvre entêté et convaincu des doctrines élevées sur la triple base de la religion naturelle, du contrat primordial et de l’excellence native de l’humanité, telles qu’elles apparaissent à toutes les pages de Rousseau, et le maître répond du disciple.

Ils étaient donc comme présens de leur personne à cette solennelle épreuve de leur sagesse, les docteurs qui avaient si long-temps remué la France, et qui, dans l’infinie variété de leurs pensées, s’étaient entendus pour éteindre au cœur de l’humanité le souffle divin qui l’aidait à vivre ! Sur ces bancs se pressaient les disciples qu’ils avaient formés, dans ces tribunes était le public qu’ils s’étaient fait. Les femmes philosophes et les beaux esprits d’académie avaient passé des petits soupers des fermiers-généraux et des salons de Mme de Pompadour au crasseux cortège de Chaumette, et l’apostat Gobel traduisait en langue vulgaire les spirituels blasphèmes qui avaient si long-temps charmé la cour et la ville.

L’horreur qu’inspire cette époque sera-t-elle atténuée devant la justice de l’histoire par la grandeur des résultats conquis, et faut-il que la politique vienne en ceci contrarier la morale ? La France doit-elle quelque chose aux hommes de la terreur en compensation de la flétrissure qu’ils lui ont infligée ? Est-il donc vrai qu’en décimant la nation ils aient eu pour but d’assurer son indépendance, et sommes-nous placés dans la douloureuse alternative d’absoudre des monstres dont les attentats font frémir, ou de condamner les sauveurs de l’unité nationale et de l’intégrité du territoire ? Quelque étrange facilité qu’on ait pu mettre à concéder ce point aux écrivains démagogues, la chose vaut la peine d’être sérieusement discutée.


II

Lorsqu’en 1792, par un élan unanime et spontané, la France se leva contre la première coalition européenne pour défendre sa révolution, à laquelle elle adhérait alors d’une foi profonde, elle offrit assurément