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une utilité incontestable et comme providentielle. L’œuvre des écrivains qui ont rassemblé jour par jour les preuves les plus accablantes contre les hommes pour lesquels ils osent réclamer le respect des générations rappelle la mission de ce peuple auquel Dieu commit la garde de tous les titres qui le condamnent, et qui porte un flambeau pour éclairer le monde en demeurant lui-même dans les ténèbres.

Deux faits restent désormais en dehors de toute contestation : l’un, que la philosophie révolutionnaire va, par une pente irrésistible, s’abîmer dans un sensualisme brutal combiné avec un despotisme gigantesque ; l’autre, que cette philosophie est l’application pratique et populaire des doctrines du siècle où elle prit naissance. Que les encyclopédistes applaudissent ou protestent, ils n’empêcheront pas que les jacobins de 1793 et les socialistes de 1848 ne soient les véritables héritiers de la pensée jetée par eux dans le monde ; ces sectaires ont seuls activement travaillé à réaliser et cette humanité nouvelle et cet ordre social nouveau, dégagés de toute tradition surnaturelle, fondés sur le rationalisme pur, et qui provoquent toutes les cupidités à s’agiter, parce que toutes les souffrances y sont des énigmes.

Les principales figures philosophiques du siècle qui se précipitait vers une fin si terrible se retrouvaient dans la génération révolutionnaire avec une ressemblance qui ne permettait pas de méconnaître l’identité des personnages, quelque transformation qu’ils eussent subie. Les grands démolisseurs étaient tous présens au travail de destruction accompli en leur nom et par eux-mêmes. Dans la sombre enceinte où bruissent tant de passions, où la haine seule dilate les ames et où la terreur les étreint, sur les bancs de cette convention formidable qui frappe de mort tout ce qu’elle touche, ne distinguez-vous pas trois figures qui, dans l’époque précédente, ont déjà reçu et comme épuisé les hommages et la longue admiration du monde ? Quel est cet homme à la parole étudiée et au rire impitoyable, qui use de son esprit comme d’un poignard, et prépare à coups de bons mots la besogne des égorgeurs ? C’est peut-être Camille Desmoulins, mais assurément c’est aussi Voltaire ; c’est Voltaire rajeuni, descendu de son piédestal sur la borne, parlant au peuple sa langue élégante et cruelle ; c’est Voltaire recouvrant des riches et froids ornemens de son style son œuvre de désolation. Dans ce puissant révolutionnaire à la figure âpre, à l’imagination et aux habitudes sensuelles, que sa tête et son cœur entraînent des extrémités du crime aux extrémités de la pitié, dans cet homme qui, au péril de sa vie, s’incline à la voix d’une jeune fille sous la bénédiction d’un prêtre, pour se rejeter l’instant d’après dans le fanatisme du néant, ne reconnaissez-vous pas Diderot aussi, bien que Danton ? Que dire de ce rhéteur consumé par la haine et crispé par l’envie, qui recouvre d’un appareil de banalités prétentieuses