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était aride, brûlant et sans eau ; enfin, que feraient cent cinquante à deux cents hommes de plus joints à l’escorte des chefs, composée de mille soldats d’élite et d’une artillerie nombreuse ? L’essentiel était donc que tous trois nous arrivassions assez tôt pour avertir seulement les soldats de l’escorte de se tenir sur leurs gardes.

Nous laissâmes le commandement de la guerrilla au lieutenant en premier après Albino et moi ; puis, munis chacun d’un cheval de main outre celui que nous montions pour voyager à plus grandes journées, nous partîmes à environ deux heures de l’après-midi. À vrai dire, il n’y a guère que cinq jours de marche du Saltillo à Monclova, qui se composent d’autant d’étapes presque forcées : Santa-Maria, Anelo, Ponta del Espinazo del Diablo, Salida del Espinazo del Diablo, enfin Acacita de Bajan ; mais nous avions lieu de présumer que les difficultés de la route pour les équipages nombreux des chefs, la rareté des vivres dans les endroits déserts, et d’autres obstacles de cette nature retarderaient la marche du convoi. Heureusement, ce n’était qu’à Acacita de Bajan, la dernière étape avant Monclova, que l’embuscade devait être dressée. Cette circonstance et la lenteur forcée de la marche de la caravane nous donnaient la certitude d’arriver à temps pour prévenir la trahison d’Elizondo, bien que les chefs eussent cinq jours d’avance sur nous. Nous partîmes donc pleins d’espoir, moi surtout, qui nourrissais dans mon cœur pour le chevaleresque Abasolo des sentimens tout particuliers de tendresse et d’admiration.

Après avoir, à moitié route, changé de chevaux, c’est-à-dire après avoir sellé nos chevaux de main et remis en laisse ceux qui venaient de quitter la selle, nous arrivâmes le soir à Santa-Maria, notre première halte. Nous interrogeâmes les habitans de quelques pauvres maisons qui composent le hameau ; tous nous répondirent que l’escorte n’était formée que de soldats fidèles à la cause d’Hidalgo et qu’ils marchaient pleins de dévouement, mais aussi pleins de confiance dans leur force numérique, sans appréhender aucune espèce de trahison. Ce renseignement ne nous satisfit qu’à demi ; j’aurais préféré apprendre que l’escorte marchait, comme nous disons, la barbe sur l’épaule. Du reste, nous eûmes toutes les peines du monde à nous procurer quelque nourriture pour nous et nos chevaux ; la caravane qui nous précédait avait épuisé tous les vivres des environs. Après avoir pris cinq ou six heures de repos, nous nous remîmes en route vers le milieu de la nuit. Dès le commencement de la seconde journée, je m’aperçus qu’OEil-Double était retombé dans une de ses méditations de fâcheux augure.

— J’ai fait un rêve cette nuit, me dit le métis, que je crus devoir questionner ; oui, j’ai fait un rêve, et je crains de ne l’avoir que trop fidèlement interprété.