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dans le village d’Ahuacatlan, cette distillerie ne comptait encore pourtant que deux années d’existence, et les premiers efforts de l’aventureux spéculateur avaient rencontré un obstacle aussi bizarre que fâcheux dans le fanatisme d’un curé ignorant. Aux yeux d’un Mexicain, tout étranger est Anglais, et tout Anglais est hérétique. Aussi, dès que M. L… était venu s’installer dans le pays, le curé d’Ahuacatlan avait-il fait de son mieux pour bannir du village l’hôte inattendu dont il croyait le contact dangereux pour ses ouailles. Tracasseries, persécutions de toute sorte, citations au prône, rien n’avait été épargné pour lasser la patience de notre compatriote, et pour décider les habitans d’Ahuacatlan à lui refuser tout concours. Heureusement l’issue de cette petite guerre avait trompé l’attente du curé. Les Indiens, contrairement à leur habitude en pareil cas, avaient pris fait et cause pour l’hérétique contre leur pasteur, et celui-ci, déconcerté par une résistance imprévue, avait dû céder sa place à un confrère plus tolérant. Depuis cette époque, M. L… était, pour toute la population indienne du village, l’objet d’une véritable adoration. On ne s’était pas contenté de l’aider dans ses premiers travaux d’exploitation, on avait poussé la sollicitude envers l’exilé jusqu’aux attentions les plus délicates, et, comme témoignage d’une reconnaissance toute filiale, les Indiens avaient, au prix des plus rudes travaux, converti en un ravissant jardin le roc sur lequel s’élevait l’usine du distillateur.

Nous passâmes tout un jour dans cette hospitalière demeure. C’est là, c’est au milieu même des riches cultures entretenues par le zèle désintéressé des Indiens, que M. L… nous raconta la curieuse histoire de sa lutte avec le curé d’Ahuacatlan. C’est là aussi que je crus devoir rappeler à mon compagnon de voyage une promesse faite avant notre départ de Guadalajara : don Ruperto me devait la suite de sa confession militaire. Les souvenirs de la guerre de l’indépendance avaient pour M. L… le même attrait de nouveauté que pour moi, et ses instances, en se joignant aux miennes, eurent bientôt décidé le vieux partisan à commencer, au milieu d’un profond silence, un de ces longs récits qui plus d’une fois avaient dû charmer les veillées nocturnes de ses compagnons d’armes ou abréger leurs marches dans le désert.


I

Il y a dans la vie de guerre des journées qu’on n’oublie pas, nous dit gravement le capitaine après avoir allumé une cigarette et retroussé sa moustache grise. Pour ne vous citer que ma première campagne, deux aventures, deux épisodes la résument dans ma mémoire. Une certaine nuit que je passai dans l’hacienda de la barranca del Salto, près de la plaine de Calderon, et un voyage de quelques jours que je fis du