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été appelé à tout ; mais bah ! je suis un maestro de génie, et ma grandeur m’attache au rivage. Qui sait pourtant ? si je n’étais Rossini, j’aurais pu être Macchiavel. » Je n’oserais prétendre qu’en parlant ainsi on ne risque d’avoir tort, et bien des gens penseront encore, même aujourd’hui, qu’il vaut autant avoir écrit Guillaume Tell que d’être l’auteur du Prince ou de l’Histoire de Florence ; mais l’auteur du Prince eut la main dans le gouvernement de son pays, Macchiavel fut un homme d’état : c’est de Macchiavel plus que de Mozart et de Cimarosa que Rossini cause dans la société de ces cardinaux et de ces monsignori où l’entraînent désormais son goût et ses penchans.

On prétend qu’il ne faut voir les choses, pour en bien juger, que dans leur élément : s’il est vrai que l’élément des Italiens soit la musique, avouons que de ce côté la grande nation a singulièrement dégénéré. Ici enfin s’offrirait une occasion pour les opprimés de se poser en maîtres, et cette domination que le monde entier leur reconnaissait naguère, comment l’exerceront-ils ? Nonchalamment étendus sur les banquettes, ennuyés, maussades, flegmatiques, ne secouant la torpeur que pour se jeter dans un paroxysme à bout de souffle, ils bâillent ou trépignent, et les instans qui s’écoulent entre l’apathie et le fanatisme, les instans neutres de la soirée, on les emploie à poursuivre de tracassières interjections les efforts malheureux d’un chanteur qui s’épuise en cris de bravoure. Imaginez la Scala et la Fenice, moins le dilettantisme ! De l’Italie de Dante et de Pétrarque, hélas ! depuis des siècles il n’en était question ; restait encore l’Italie de Cimarosa, de Paisiello, de Rossini et de Bellini, et celle-là aussi a disparu : tout semble éteint dans ce noble corps, jusqu’à la dernière pulsation mélodieuse !

Au sortir de l’opéra, profitant d’une nuit resplendissante de lumière, nous nous mîmes à parcourir la ville avec cette curiosité avide de gens pressés par le temps, qui se hâtent de remplir le mieux possible leurs yeux et leurs oreilles, quitte à ruminer plus tard leurs sensations. Nous allions ainsi devant nous, un peu à l’aventure, respirant ces premières tiédeurs du printemps qui enivrent, lorsque nous vîmes tout à coup se dresser une masse de pierres colossale dont l’ombre obscurcissait le voisinage, et qui, se dressant noire et funèbre au milieu de la vaporeuse transparence du ciel, semblait je ne sais quel mauvais génie en lutte avec l’ange du recueillement et des douces clartés : c’était le géant rival du Colisée, l’amphithéâtre de Vérone. Tout le monde connaît les arènes de Domitien, ovale immense de granit recouvert de marbre, et sans contredit le plus épargné par les siècles entre tous les monumens de ce genre que l’antiquité nous a légués. Tant de pieds de haut, tant de large ; passe encore pour des dates, mais des nombres géométriques, comment faire pop les retenir ? Aussi