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est peu d’hommes supérieurs qui n’aient inspiré quelque dévouement de ce genre ; il y suffit de la fascination du rang et de la fortune ; qu’est-ce donc quand il s’y joint, comme chez Guillaume d’Orange, la fascination du génie ? Mais ici l’amitié était réciproque, et, comme il n’y a d’amitié qu’entre égaux, il fallut que le sujet fût bien honnête homme pour que le prince en fît son égal. Le propre des parfaits amis est de n’avoir pas de secrets l’un pour l’autre. Bentinck connut tout ce qui se passait dans l’ame de Guillaume. Depuis les plans hardis de sa politique jusqu’aux regrets que lui donnent ses melons manqués, le prince disait tout à son ami. Bentinck est-il absent, Guillaume ne permet pas à ses enfans d’aller à la chasse, de peur d’un coup de corne du cerf, ni d’assister au repas des chasseurs, pour qu’ils ne rentrent pas trop tard. « Si je dois avoir un fils, écrivait-il à son ami, j’espère que nos enfans s’aimeront comme nous avons fait. » Bentinck tombe gravement malade ; Guillaume envoie plusieurs courriers par jour ; à la nouvelle que son ami est hors de danger, il en remercie Dieu, et ses yeux, écrit-il au convalescent, se remplissent de larmes de joie.

Une telle illustration vaut bien celle des armes. D’ailleurs, Bentinck joignait la bravoure du soldat au dévouement de l’ami. L’homme respectable qui porte ce beau nom en soutient dignement l’éclat. Dans ce pays des grands exemples, il en donne un qui n’est pas le moins grand, et qui est peut-être le plus utile ; il emploie sa fortune à développer une industrie pour laquelle sa patrie est tributaire de l’étranger ; il a voulu qu’elle produisît elle-même son pain. Les lois ni les mœurs de l’Angleterre ne permettent à l’aristocratie de mettre la main dans une industrie manufacturière ; mais elles ne l’empêchent pas de cultiver le sol. Un lord ne déroge pas en touchant la charrue : c’était l’art des patriarches ; l’Angleterre religieuse ne l’a pas trouvé indigne de son aristocratie. Le vieux duc de Portland rappelle Booz au milieu de ses moissonneurs, et, s’il manque à la scène les épis semés sur les pas de Ruth, on peut être sûr que le secours va trouver la veuve sous une autre forme.


III. – LES RUINES DE WINGFIELD. – UN PIQUE-NIQUE. – LES RUINES D’HARDWICKE-CASTLE. – SOUVENIRS DE MARIE STUART.

Les ruines sont rares en Angleterre ; il y en a deux raisons : la guerre étrangère n’en a pas fait, et la guerre civile en a fait moins que partout ailleurs. Aussi le peu qu’on en voit est-il fort visité, non par les étrangers, qui ont assez à faire des curiosités de la civilisation contemporaine, mais par les Anglais eux-mêmes, qui ne sont curieux d’aucun pays autant que du leur.

Le comté de Nottingham en offre de célèbres : celles du château de