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en doute ? qui voudrait même soutenir qu’une telle pensée ait jamais germé dans la tête d’un homme que nul ne saurait aborder sans être à l’instant même touché de son extrême modestie ? Cependant, si les légendes ne font pas les héros, on conviendra bien avec nous qu’il n’y a point de héros sans légendes. Or, cette consécration populaire qui, s’attachant à un homme, en crée un type bientôt connu de tous, aimé de tous, ayant de droit sa place dans la plus humble chaumière, cette consécration, le maréchal Radetzky l’a reçue de l’armée et du peuple autrichien. Familier au pauvre comme au riche, hôte vénéré de chacun, chanté par la muse tyrtéenne du vaillant Zedlitz, multiplié par tous les lithographes de l’empire, rien ne manque à sa renommée, pas même ces rapsodies de carrefour, pas même ces enluminures de coin de rue, qui, médiocrement scrupuleuses à l’endroit de la rime et du dessin, n’en demeurent pas moins un des signes les plus caractéristiques de la gloire humaine. Il est aujourd’hui en Autriche, pour le prestige militaire qu’il exerce sur les masses, pour l’enthousiasme et le fanatisme qu’il inspire aux soldats, ce que fut en Prusse le vieux Fritz, j’allais presque ajouter ce qu’est Napoléon chez nous. Il va sans dire que je n’émets en cette affaire aucune espèce de jugement ; je constate un fait, voilà tout.


III

Il n’y a point cependant à se le dissimuler, et pour peu qu’après avoir vu le vainqueur au milieu de son appareil militaire, on cherche à se rendre compte de ce qui se passe dans l’autre camp, on ne peut s’empêcher de sentir que des deux côtés les choses sont poussées à l’extrême. Entre l’Autriche et l’Italie, je le crains bien, l’irréparable est consommé. Est-ce à dire que ce divorce des deux nations ne remonte point au-delà des événemens des dernières années ? Nous ne le pensons pas, et les mouvemens qui, de Milan à Venise, ont agité si profondément les possessions de l’Autriche en Lombardie n’ont été en somme que l’explosion d’un sentiment implacable, qui, lorsqu’il n’éclate pas en bombes révolutionnaires, couve sourdement à l’ombre et initie le sol sur lequel traîne le sabre des impériaux. Le Lombard déteste la langue allemande, il la trouve barbare, et s’accommodait mieux du français. Or, comme, pour servir dans l’armée ou l’administration autrichienne, il faut parler la langue de l’Autriche, moitié mauvaise humeur, moitié paresse, on s’est abstenu de toute sorte de service, et cela d’autant plus volontiers qu’on appartenait davantage à la classe aisée ou riche. L’Italie, depuis deux siècles, n’a point reculé, ainsi que certains le prétendent ; elle est tout simplement demeurée stationnaire, tandis que les autres marchaient. De même qu’au moyen-âge