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d’être lord, mais devant la pairie représentée par une personne ; non devant l’individu, mais devant l’institution utile à tous. De là, dans l’inférieur, une politesse respectueuse et non obséquieuse, et, dans le supérieur, nul besoin du dépit des petits pour mieux goûter l’hommage qu’il en reçoit. L’âne portant les reliques ne s’y trompe pas ; il voit bien que le salut s’adresse aux reliques, et, s’il en est secrètement chatouillé, il ne paraît pas du moins qu’il se carre,

Recevant comme siens l’encens et les cantiques.

Les étrangers curieux font souvent de sottes questions. C’est ce qui m’arriva, une fois entre autres, avec un petit fermier du Nottinghamshire. Je lui demandais si les vastes domaines du duc de Portland ne lui faisaient pas des envieux ; il ne parut pas me comprendre. Je refis la question. « Et pourquoi aurait-il des envieux ? dit-il. L’Angleterre a autant besoin de grands propriétaires que de petits tenanciers ; le duc de Portland n’a rien qui ne soit à lui ; le pays gagne à ses grandes dépenses. Qui pourrait trouver mauvais qu’il ait de quoi les faire ? » J’insistai : je voulais voir s’il parlait de conscience ou par ce soin qu’ont les Anglais de cacher aux étrangers les plaies de leur pays. « Toutes ces choses-là d’ailleurs, ajouta-t-il, sont de l’ordre de Dieu. » Je cessai mes questions. Cette dernière réflexion me donnait l’air d’un tentateur venant jeter dans un esprit simple et droit les tristes doutes que j’avais rapportés de mon pays.

C’est dans une de nos promenades à travers ces magnifiques cultures que la route nous amena dans une petite gorge étroite et fraîche dont les bords sont boisés et au fond de laquelle coule un ruisseau. Entre le ruisseau et la colline s’élèvent deux rangées de maisons de construction uniforme, mais propres et riantes. En ce moment, les rayons du soleil couchant, pénétrant par la gorge, enfilaient la rue et faisaient reluire tout ce groupe de maisons au milieu des premières ombres du soir qui descendaient déjà dans la vallée. Le silence du lieu, à peine interrompu par le murmure du ruisseau, ajoutait à l’air de santé et de propreté un air de tranquillité qui me charma. À gauche des maisons, au pied de rochers escarpés et verdoyans, se dressaient sur une aire de sable tout un appareil de gymnastique, attendant les joyeux enfans de la petite colonie. Je me demandais si, parmi ses autres singularités, l’Angleterre n’offrait pas là quelques honnêtes fous réunis sous la loi d’attraction de Fourier. Dans ce moment, des enfans sortirent des maisons, et vinrent en courant, les uns se pendre aux cordes à noeuds, les autres grimper aux mâts ; leur costume annonçait des enfans de la classe ouvrière : cette colonie dépend, en effet, d’une fabrique voisine que nous dérobait un pli de la vallée.