Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/582

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ces embarras ne viennent pourtant pas uniquement des désordres populaires, ils tiennent surtout à la décomposition du parti whig, qui fait de terribles progrès, et ces progrès sont encore accélérés par la dernière recrudescence de l’agitation abolitioniste. Voilà quelque vingt ans que cette agitation a commencé dans la ville de Boston ; elle n’était à son début qu’une affaire de zèle religieux : elle ne touchait ni aux anciennes bases des partis politiques, ni à la bonne intelligence des différentes églises ; mais insensiblement elle a tout désuni, et, au sein de chaque congrégation comme au sein de chaque parti, il s’est élevé une lutte intérieure entre les adversaires et les patrons de l’esclavage. C’est ainsi que lors de la dernière élection présidentielle se forma de tous côtés, notamment chez les whigs, une troisième fraction de l’opinion publique qui, sans tenir grand compte des principes distincts propres aux whigs ou aux démocrates, proclamait comme supérieure à ces principes mêmes la nécessité d’effacer à tout prix les souillures de l’esclavage du sol américain. Les whigs s’étaient inutilement opposés à la guerre du Mexique, comme auparavant à l’annexion du Texas. La crainte de voir le parti de l’esclavage fortifié de toutes les régions nouvelles que cette guerre ajoutait au territoire des États-Unis poussa dès-lors les whigs dans les rangs des free-soilers (c’est le nom dont s’appellent ceux qui ne veulent plus que des hommes libres au sein de l’Union), et le parti démocratique a recueilli le bénéfice de cette division des whigs.

Il semblait que le compromis de M. Clay pût leur permettre de se reconstituer avec leur unité primitive, puisqu’il, leur ôtait le prétexte même de leur rupture en écartant les chances d’accroissement les plus prochaines pour les états à esclaves, en introduisant parmi les membres de l’Union la Californie et le Nouveau-Mexique, qui ont repoussé l’esclavage de leur constitution et sont ainsi décidément soustraits à l’influence anti-abolitioniste du Texas. Malheureusement les ambitions particulières ne se sont pas rendues à cette perspective rassurante, et l’on a exploité les apparences rigoureuses du bill d’extradition pour maintenir au milieu des whigs la fougue de l’esprit abolitioniste. L’époque des élections arrive maintenant dans un certain nombre d’états, et il y a des candidatures qui se produisent en se recommandant surtout de leur opposition au bill des esclaves, en prenant leur point d’appui en dehors de leur camp naturel, en dehors même du parti démocratique, en allant chercher des alliances jusque dans le socialisme, qui là-bas aussi menace de grandir, si contraire qu’il soit aux habitudes positives du génie américain. C’est ce qu’on a vu, il y a peu de jours, dans une assemblée tenue à Syracuse par les délégués whigs de l’état de New-York. Les free-soilers s’y sont fait une majorité en inscrivant sur leur drapeau l’organisation du travail à côté de la liberté du sol, et ils ont eu l’appoint de ceux qui revendiquent maintenant de l’autre côté de l’Atlantique le titre spécial de travailleurs, comme on le faisait chez nous après février. Ainsi, par exemple, les travailleurs, réunis le 3 octobre à Albany (the working men’s convention), viennent de voter des résolutions qui rappellent trop fidèlement toutes les illusions dont on abusa nos classes ouvrières il y a bientôt trois ans : la journée de dix heures, la suppression du travail dans les prisons, la modification des marchés passés par le gouvernement avec les entrepreneurs, la répression de l’injustice des maîtres