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pas seulement dans des articles de journaux, qui se traduisent en voies de fait avec toute la violence des passions américaines.

La presse du Texas semble unanime pour repousser un démembrement quelconque de l’état, et il n’est pas douteux qu’elle représente l’esprit de la population. On ne veut rien céder des limites primitives, on veut garder tout l’état tel qu’il était lorsqu’il fut annexé ; plutôt que de se rendre aux ordres du gouvernement central, on fera scission de concert avec tout le sud, dût « une mer de sang couvrir le Texas entier. » C’est là du moins le langage des journaux du pays. On ne se dissimule pas que les finances texiennes auraient grand besoin des 10 millions de dollars votés à Washington pour prix du sacrifice qu’on demande aux Texiens ; mais on se fait un point d’honneur de résister à la tentation. Quant à l’extradition des esclaves, c’est là particulièrement que l’espoir d’un accommodement réel entre les deux fractions de l’Union américaine semblerait le plus en péril. Les états du sud prennent pour une déception le bill qu’on leur avait offert comme une garantie. Ce bill a pour conséquence de suspendre l’habeas corpus au détriment des esclaves fugitifs revendiqués par leurs propriétaires, et il supprime en pareil cas l’intervention du jury ; des agens spéciaux sont chargés d’arrêter les hommes de couleur ainsi poursuivis et de les restituer à qui de droit. Tous les organes du sud déclarent à l’envi que les représentans et les sénateurs du nord n’ont souscrit à cette apparente concession que parce qu’ils savaient trop qu’elle serait illusoire. Le sud se plaint d’avoir été joué, soit parce que les esclaves en fuite auront toujours la ressource d’aller chercher un asile au Canada, ressource dont ils profitent déjà, soit parce que le peuple dans les états du nord empêche l’exécution de la loi.

L’agitation du nord, au sujet de cette question des esclaves, s’est en effet tout d’un coup ranimée, et elle est plus vive encore à présent qu’elle n’avait été, avant le vote de la loi. Ce ne sont pas seulement des meetings abolitionistes où l’on s’engage à ne point obéir au bill qui a passé dans le congrès ; ce sont des émeutes où le sang coule. Les hommes de couleur, qui avaient d’abord paru se résigner et s’étaient contentés de se mettre sur une défensive affectée, sont bientôt sortis de cette attitude expectante. Les abolitionistes, qui les travaillaient à New-York, à Philadelphie, à Boston, n’ont que trop réussi. À Philadelphie, on s’est battu dans les rues à coups de fusil le 6 et le 7 octobre ; à Detroit, un esclave fugitif ayant été arrêté, le 12, en vertu de la loi nouvelle, la population noire a, dit-on, opposé une résistance désespérée. La milice appelée sous les armes est obligée de faire un service actif, et les deux races, mises ainsi en présence l’une de l’autre, sont depuis lors toujours à la veille d’en venir aux mains. Un engagement un peu sérieux sur un seul point de l’Union pourrait être le signal d’une affreuse mêlée. Il est à regretter que le gouvernement fédéral n’ait pas employé jusqu’ici autant de vigueur pour assurer l’exécution du compromis de M. Clay qu’il en avait montré pour obtenir ces lois elles-mêmes du congrès. On reproche à M. Fillmore de n’avoir pas veillé avec assez de fermeté aux détails pratiques de l’application du nouveau bill des esclaves. On lui reproche aussi de n’avoir point assez purgé son administration d’hommes qui n’en étaient point les soutiens naturels, et de s’être par là créé des embarras qu’il eût évités avec plus de décision.