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de femmes dont il a sauvé les maris. Enfin, comme tout bon chevalier, il est le champion des dames, grand admirateur de leur beauté, et, pour dernière perfection, fidèle.

Une de ces ballades le fait mourir de la mort la plus touchante. Depuis quelque temps, Robin Hood se sentait s’affaiblir ; il s’en plaignait à Little John : ses flèches, disait-il, n’allaient plus au but. Il avait une cousine, abbesse du monastère de Kirkley, qui, comme plus d’une abbesse du temps, pratiquait la médecine. Il va la consulter sur son mal. C’est elle-même qui vient lui ouvrir la porte du couvent. Elle le reçoit avec une feinte cordialité et l’invite à manger ; puis, le menant dans une chambre secrète, « de sa main de lis, » elle lui ouvre la veine et se retire, fermant la porte à double tour. Le sang coula tout le jour et toute la nuit. Robin Hood s’aperçut de la trahison, et, quoique près de défaillir, il essaya de s’échapper ; mais c’est à peine si sa vigueur d’autrefois eût suffi pour forcer la porte. Il veut sauter par la fenêtre ; de si haut, la chute eût été mortelle. À la fin, il a recours à son cor, et il en tire trois faibles sons. C’était assez pour les oreilles du fidèle Little John, resté tout ce temps sous un arbre du voisinage. Il reconnaît, à ces sons mourans, que son maître va expirer ; il accourt, forçant les serrures et brisant les portes, et arrive jusqu’à Robin Hood, trop tard pour le sauver, mais pas trop tard pour le venger. Si son maître le lui permet, il va mettre le feu à ce couvent de nonnes déloyales. « Non, lui dit Robin Hood, je ne le souffrirai pas. Jamais, depuis que je vis, je n’ai fait de mal à une femme, ni même à aucun homme en présence d’une femme, et ce que je n’ai pas fait vivant, je ne le ferai pas à ma mort ; mais donne-moi mon arc avec une de mes flèches : où cette flèche tombera, là je veux être enterré. Étends un vert gazon sous ma tête et un autre à mes pieds, que ma fosse en soit tapissée ; fais-la assez large et assez longue ; couche-moi sur un oreiller de verdure, et qu’on puisse dire : « Ci-gît le hardi Robin Hood. » Il fut enterré en effet près de l’abbaye de Kirkley en Yorkshire.

Walter Scott, dans le roman d’Ivanhoé, a donné au personnage de Locksley les principaux traits du héros des ballades. Il a peint son adresse comme archer dans le jeune yeoman qui gagne le prix de l’arc au tournoi, son courage et sa générosité dans l’intrépide guerrier qui assiége avec Richard le château où le Normand Front-de-Boeuf tient enfermé Cédric le Saxon ; il nous le montre roi de la forêt, tenant sa cour dans une clairière, du haut d’un trône de gazon qu’ombragent les branches touffues d’un vieux chêne, et distribuant à sa troupe, rangée en demi-cercle devant lui, les dépouilles du château. Cependant Walter Scott, dans l’intérêt de son roman, fait de Locksley un patriote qui, tout en attaquant les abus de l’administration normande, est resté fidèle au roi du race normande Richard. Sa gravité, sa noblesse, cet air