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barbouiller de suie, l’esprit d’un prisonnier peut hésiter ; mais supposez la ruse découverte : dans tous les cas, le ridicule est le même. Pour délivrer son frère, Marguerite veut le marier avec Éléonore de Castille. Peu importe que l’histoire parle de ce mariage comme d’un fait accompli avec le consentement de Charles-Quint ; peu importe que François Ier ait demandé la main d’Éléonore : M. Scribe ne s’embarrasse pas de pareilles bagatelles ; Marguerite obtient de Guatinara, dont elle connaît l’amour pour Isabelle de Portugal, la clé qui ouvre l’oratoire d’Éléonore. La porte masquée de l’oratoire se trouve derrière la statue de saint Pacôme. Grace à cette clé bienheureuse, Éléonore épouse secrètement le roi de France. Pour retenir Charles-Quint, qui pourrait troubler la cérémonie, Marguerite lui raconte une nouvelle encore inachevée dont elle cherche le dénoûment, et l’empereur l’écoute avec une complaisance qui ne laisse rien à désirer. La comédie se termine par un triple mariage : Charles-Quint épouse Isabelle, François Ier Éléonore de Castille, et Marguerite Henri d’Albret, dont je n’ai pas parlé, parce que son rôle se réduit aux proportions d’un ténor léger. Les espérances que Marguerite a données à Charles-Quint, amoureux d’elle de par la volonté des auteurs, s’appellent les Contes de la reine de Navarre.

Il y a loin, comme on voit, du Verre d’eau à cette comédie, car, si le Verre d’eau se moque de l’histoire, il s’en moque gaiement, et les Contes de la Reine de Navarre n’ont pas plus de gaieté que de vérité. Le style est à la hauteur de l’invention. Je passe sur quelques menues phrases où Charles-Quint parle d’éteindre les occasions et les prétextes, je laisse de côté les tirades ingénieuses où les situations se relèvent ; mais je dois appeler l’attention de tous les hommes studieux, de tous les écoliers qui veulent se fortifier dans la connaissance de la grammaire, sur une phrase prononcée par Charles-Quint, et que je ne me lasse pas d’admirer. L’empereur s’adresse à la cour d’Espagne : « Je vous annonce mon mariage avec l’infante Isabelle, et j’ai à vous faire part d’un autre événement dont j’attends vos félicitations, le mariage de ma sœur avec le roi de France. » Ne faut-il pas s’incliner respectueusement devant cette locution condamnée par Beauzée, par Bumarsais, par Condillac, qui traite la grammaire avec un souverain mépris, mais qui, en revanche, donne tant de grace à la pensée ? L’événement dont j’attends vos félicitations est, à mon gré, une des inventions les plus ingénieuses que puisse se permettre un poète comique. Pour moi, je n’hésite pas à placer cette belle parole de Charles-Quint sur la même ligne que le fameux quoi qu’on die. Qu’on ne vienne pas me dire que la correction est une clés premières lois du style, que les qualités les plus éclatantes ne dispensent pas de la correction, que la correction est la première des qualités littéraires, comme la santé est le premier