Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/563

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour briller dans le récitatif ou dans le largo ; mais elle a tout ce qu’il faut pour éclater victorieusement dans la stretta. Tous les professeurs de composition doivent la recommander à leurs élèves comme un personnage qui se plie docilement à tous les caprices du hautbois et de la clarinette. En présence d’une création si hardie, si nouvelle, si parfaitement inattendue, est-il permis de parler de l’histoire ? Opposer la réalité au souffle poétique, n’est-ce pas se rendre coupable de sacrilège ?

Comment célébrer dignement Gattinara et Babieça ? Je ne demande pas à MM. Scribe et Legouvé pourquoi ils ont transformé Gattinara en Guatinara ; ils ne descendraient pas à me répondre. Cette curiosité philologique n’amènerait sur leurs lèvres qu’un dédaigneux sourire. J’aime mieux appeler l’attention sur la crédulité vraiment exemplaire de Guatinara, sur la jalousie prodigieusement amusante de Babieça Pourquoi MM. Henri et Ferréol n’étaient-ils pas chargés de remplir ces deux rôles importans ? Ils les ont joués si souvent à la satisfaction générale du parterre, que M. Scribe s’est rendu coupable envers eux d’une véritable ingratitude en négligeant de leur confier la centième répétition de ces deux types, éternellement jeunes, éternellement nouveaux. C’était bien la peine vraiment de conquérir à ces deux types si gracieux et si gais l’enthousiasme et les applaudissemens, pour obtenir une telle récompense ! On n’a donc, pas calomnié les poètes en les accusant d’être aussi ingrats que les rois.

Le lecteur devine sans peine que l’action nouée entre ces personnages de pure fantaisie n’a rien de commun avec cette réalité mesquine qui s’appelle l’histoire. Nous voyons, en effet, Charles-Quint bouder Marguerite, parce qu’elle n’a pas eu l’esprit de lui offrir avec empressement une aumônière qu’elle brode pour le plus vaillant des chevaliers. Ombres de Bouilly et de Creuzé de Lesser, humiliez-vous ! Jamais votre imagination si féconde n’a rien trouvé d’aussi ingénieux. François Ier veut se laisser mourir de faim, et Marguerite, pour le ramener à la vie, demande à souper, et porte tour à tour la santé de Louise de Savoie, du dauphin, de Françoise de Foix, de toutes les dames de la cour de France. S’il faut en croire les galans poètes qui ont cherché dans le traité de Madrid le sujet d’une joyeuse comédie, toutes les dames de la cour de France ont remis à Marguerite des nœuds de rubans, des écharpes brodées de leurs mains, des boucles de cheveux. Pauvre comtesse de Chateaubriand, que de rivales se disputent le cœur de son royal amant ! Le François Ier de MM. Scribe et Legouvé est un terrible séducteur. Il n’y a pas une femme dans son royaume qui ose lui résister, et Marguerite, sa sœur, joue auprès de lui, au profit de ces cœurs ardens, le rôle d’entremetteuse. Comment, le roi prisonnier résisterait-il à l’éloquence d’un tel message ? Il boit