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de cent bêtes à corne, le shériff se voit entouré de cent compagnons à la livrée verte de Robin Hood. Il est joué, berné, rançonné mais il ne lui est pas fait pis.

Robin Hood n’était point marié ; toutes les ballades le disent, sauf une dont l’auteur voulait sans doute qu’il ne manquât aucune vertu à son idéal. Il vivait, il faut le dire, maritalement avec la belle maid Marian. Avant de se faire chef de braconniers, Robin Hood avait été un jeune seigneur de grande naissance, ruiné en partie par les folies de sa jeunesse, en partie par un abbé et un juge, devenus possesseurs, par ruse, de ce qui lui restait. Dans ce temps-là, il était fort épris de la belle Marian, qui le payait de retour. Quand il eut quitté le pays pour aller vivre au fond des bois, Marian, ne pouvant supporter son absence, se déguisa en page et se mit à sa recherche. Ils se rencontrèrent, mais travestis, Marian en homme, Robin Hood en chef de brigands. Ils se battirent ; le beau sang de Marian coula, et Robin Hood lui-même fut légèrement blessé. C’était sa manière de faire ses recrues. Il tend la main à Marian et lui propose de venir dans les bois entendre la chanson du rossignol. Sa voix le trahit, Marian le reconnaît ; elle se jette dans ses bras. Un grand festin célèbre l’arrivée du taux page ; des coupes sont vidées à sa santé, et le repas fini, Robin Hood et Marian vont s’égarer dans la forêt, suivis de Little John. La ballade ne dit pas si celui-ci servit de chaperon aux deux amans ; elle parle seulement du contentement de Marian et de Robin Hood vivant heureux au milieu de la troupe, « sans terres ni rentes » et fort long-temps.

Les ballades dont Robin Hood est le héros offrent de vives peintures des sentimens du peuple anglais aux XIIe et XIIIe siècles ; elles respirent la haine de toute tyrannie, soit ecclésiastique, soit civile, l’horreur de toute action lâche et vile, l’admiration pour tout ce qui est liberté, générosité, chaleur de cœur, warmheartedness ; l’amour pour les combats, non sanglans, mais de bon aloi ; un goût très vif pour les plaisanteries, les jeux de mots et les bons tours. La plainte y est d’ailleurs sans fiel et sans violence. Les poètes en veulent plus aux abus qu’aux gens. C’est l’esprit du héros de ces ballades. Robin Hood a plutôt l’air d’être en guerre avec un état de choses qu’avec les personnes. Pour celles-ci, il les joue plus souvent qu’il ne les maltraite ; il aime mieux se moquer de la mauvaise justice que de molester le magistrat honnête qui la rend ; seulement, nobles, prêtres, juges ne sortent de ses mains qu’avec rançon. C’est le seul budget du roi de Sherwood. Il aime et protège la petite bourgeoisie de campagne. Jamais il ne maltraite le berger ni le laboureur ; il défend le paysan contre le noble ou le prêtre qui l’oppriment. La veuve et l’orphelin n’ont pas de plus sûr appui, et ce ne sont que récits de mères auxquelles il a rendu un fils,