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j’ai parlé nous dispense de toute conjecture. Marguerite avait été mariée contre son gré à un homme qui n’avait en lui-même rien de séduisant, d’un visage et d’un esprit vulgaires, qu’elle n’aurait pu aimer, lors même que son cœur n’eût pas été dominé par une passion dont elle rougissait. Deux ans après la mort du duc d’Alençon, Marguerite épousa Henri d’Albret, âgé de vingt-quatre ans, c’est-à-dire plus jeune qu’elle de onze ans. Cette seconde union n’aurait sans doute jamais été troublée sans les calomnies du connétable de Montmorency, qui semblait prendre à tâche de poursuivre sa bienfaitrice. Grace aux avis officieux du connétable, Henri d’Albret se crut trompé par Marguerite, et se laissa emporter par la colère jusqu’à la frapper. Il fallut l’intervention du roi pour ramener la paix dans le ménage. Heureusement la jalousie du mari ne tint pas contre l’évidence, et Marguerite pardonna généreusement. Elle savait, par la grace de son esprit, par le charme de ses manières, faire oublier son âge, et la violence même de la jalousie qu’elle inspirait prouve assez clairement à quel point elle avait réussi. Marguerite aimait sincèrement Henri d’Albret. Cependant, quoiqu’elle eût réussi à dompter ses coupables pensées, son frère tenait toujours la première place dans son cœur. Les lettres écrites pendant son voyage en Espagne nous révèlent toute la vivacité de sa tendresse : elle accuse avec impatience la longueur de la route, la lenteur des chevaux qui l’emportent vers le prisonnier, l’inclémence de la saison. Toutes ses pensées vont à son frère. Pourvu qu’elle le délivre, qu’elle le ramène en France sain et sauf, elle sera trop payée de ses fatigues. Qu’un messager couvert de fange vienne lui apporter des nouvelles de son frère bien-aimé, elle ira l’embrasser, et, s’il n’a pas de lit pour se reposer, elle lui donnera son lit et dormira sur la dure. Ainsi toute la vie de Marguerite se résume dans sa tendresse pour son frère.

François Ier, bien qu’il appelât Marguerite sa mignonne, l’a plus d’une fois traitée avec un égoïsme cruel. Il lui a pris sa fille, à peine âgée le trois ans, pour l’élever à sa guise à Plessis-lez-Tours. Ni prières, ni larmes n’ont pu le fléchir : il voyait dans sa nièce un bien dont il voulait disposer dans l’intérêt de sa politique, et sa conviction à cet égard était si complète, si profondément enracinée, que sans doute Marguerite l’eût étonné, si, au lieu d’invoquer leur mutuelle affection pour garder sa fille, elle eût invoqué ses droits de mère. Si le fils de Louise de Savoie n’a pas dit, comme plus tard Louis XIV : « L’état c’est moi, » toute sa conduite s’explique par cette orgueilleuse pensée. Ce roi, si vanté comme la fleur de la chevalerie, n’avait d’un chevalier que la bravoure, et c’est à sa bravoure qu’il doit l’indulgence de la postérité. L’histoire pourtant, lorsqu’elle prend ses devoirs au sérieux, est obligée de se montrer sévère pour François Ier ; car, si la bravoure tient un rang