Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/554

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’expliquer, pour la commenter, la correspondance de Marguerite avec Guillaume Briçonnet, évêque de Meaux. Dans la lettre mystérieuse adressée à son frère, elle lui dit que sans doute il ne voudra pas faire un long détour pour éviter de rencontrer celle qui met en lui tout son bonheur, qui estime sa vue plus chère que tous les biens de ce monde ; elle mêle à ces accens de tendresse un sentiment de remords qui certes ne s’accorde pas avec une amitié fraternelle ; elle ajoute que, si son frère consent à ne pas l’éviter, elle saura trouver un prétexte pour s’échapper et le voir ; et comme si elle craignait de n’avoir pas encore exprimé assez clairement sa confusion et sa honte, elle signe : « Pis que morte. » Cette signature étrange se retrouve dans sa correspondance avec Guillaume Briçonnet, et comme dans cette correspondance Marguerite parle toujours d’une faute à expier sans jamais la nommer, comme elle demande conseil à Briçonnet sur le moyen le plus sûr de rentrer dans le droit chemin sans jamais lui dire en quoi elle a failli, il est bien difficile de ne pas rapprocher des lettres de Marguerite à l’évêque de Meaux la lettre énigmatique dont j’ai tout à l’heure donné la substance. Les réponses de l’évêque, écrites dans un style mystique, ne laissent pas assez nettement deviner sa pensée pour que Marguerite puisse y trouver une consolation. Les sentimens de Guillaume Briçonnet, très chrétiens, je veux bien le croire, sont noyés dans un tel déluge de métaphores, et ces métaphores elles-mêmes sont si étrangement choisies, qu’il est impossible de garder son sérieux en l’écoutant ; mais le style burlesque du confesseur n’efface pas la tristesse de la pénitente.

Il faut donc reconnaître, pour peu qu’on ait le goût de la justice, que Marguerite a été cruellement calomniée. Comment expliquer les reproches qui pèsent sur sa mémoire ? Comment cette femme, dont toute la vie n’a été qu’un long dévouement, se trouve-t-elle accusée d’impudicité ? La protection généreuse qu’elle accorda toujours aux protestans persécutés suffit, à mon avis, pour rendre raison de cette contradiction. Les docteurs impitoyables qui ont allumé le bûcher de Berquin au moment où ils se vantaient d’envoyer son ame criminelle aux pieds de son juge n’oubliaient pas que Marguerite avait tout fait pour le sauver. Si Berquin, docile aux conseils de Marguerite, eût continué paisiblement ses études philosophiques et n’eût pas bravé l’autorité de l’église, il fût mort tranquille dans son lit. Les bourreaux de Berquin ne pouvaient pardonner à la sœur du roi l’asile qu’elle offrait dans sa cour de Béarn à tous les libres penseurs ; la Sorbonne était jalouse de cette princesse ingénieuse et savante, qui mettait sa puissance au service de la liberté. La rancune de la Sorbonne s’est traduite en accusation d’hérésie. Quoi de plus simple ? quoi de plus naturel ? Était-il possible qu’il en fût autrement ? Quand le connétable