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des pairs, j’avais été juge sévère j’accueillis Mme Karl comme je le devais, et j’écrivis au roi que la sœur de Barbès allait arriver en suppliante près de lui. Avant d’avoir reçu ma lettre, Louis-Philippe avait fait cette réponse que l’on connaît : « Ma pensée a devancé la vôtre. Au moment où vous me demandez cette grace, elle est faite dans mon cœur ; il ne me reste plus qu’à l’obtenir. » La prière et les larmes de Mme Karl n’avaient donc été pour rien dans le mouvement spontané qui portait le roi à protéger les jours d’un grand coupable ; mais c’était un argument nouveau qu’il appelait à son aide. « Il n’est plus possible, s’écria-t-il, que la main arrosée des larmes de la sueur de Barbès signe l’arrêt qui l’envoie à la mort ? » Barbès fut sauvé, et le lendemain la haine des partis reprit son œuvre contre le prince qui avait si généreusement pardonné.

En dehors de cette application si fréquente du droit de grace, le roi a honoré son règne par le grand acte de l’amnistie en 1837. Dès les premiers mois qui suivirent la révolution de 1830, les passions démagogiques avaient poussé dans les sociétés secrètes une foule d’ouvriers ennemis du travail, d’esprits fanatisés par les doctrines anti-sociales et d’ambitieux déçus : c’était déjà l’armée organisée du désordre, avec ses finances, ses chefs et ses soldats. Les conspirateurs marchaient dès-lors sous le drapeau républicain. Deux fois, en 1832 et en 1834, les anarchistes avaient offert le combat à la garde nationale, clairvoyante alors, et à l’armée, toujours fidèle : deux fois les sociétés secrètes furent vaincues. Un arrêt solennel de la cour des pairs du 23 janvier 1836 vint mettre le sceau à cette victoire en frappant la vaste organisation de la démagogie dans son comité central. La royauté résolut aussi de lui porter un grand et dernier coup. De toutes les combinaisons qui s’offraient pour achever la défaite de ses ennemis, elle choisit la plus décisive et la plus hardie : la clémence appuyée sur la force, la clémence qui rendait à la liberté les ministres du roi Charles X et les chefs des sociétés secrètes, la force qui restituait au même instant à la religion vengée l’un des plus antiques monumens de la piété catholique, l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois.

Le premier, le plus illustre complice de cette noble audace était M. le comte Molé, dont l’opinion sur l’amnistie était depuis long-temps connue. L’amnistie était la condition de M. Molé pour entrer aux affaires, elle était la condition du roi pour la formation du nouveau cabinet. Cette grande question était donc décidée en principe le 15 avril, le jour même où le roi changea son ministère. Son cœur paternel s’ouvrait d’ailleurs à l’espérance d’en faire le gage de la réconciliation des partis au moment où sa famille allait puiser de nouvelles forces dans le mariage du duc d’Orléans. La liberté de trois cents condamnés politiques,