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encore, c’est surtout un devoir qui ne peut être limité que par des devoirs d’un ordre supérieur. Je veux prouver à mes fils que je ne l’ai jamais compris autrement : là est ma consolation, quand la justice a frappé[1]. »

Il était des occasions dans lesquelles la clémence du roi ne pouvait être vaincue même par la raison d’état. S’il n’obtint pas, au début de son règne, l’abolition de la peine de mort en matière politique, il réussit du moins à l’abolir en fait. Pendant dix-huit années, il a sauvé de la peine capitale tous les conspirateurs, sans, en excepter un seul, qu’avait justement frappés la loi du pays. C’est un hommage que les partis eux-mêmes seront forcés de rendre à la mémoire du roi Louis-Philippe, à moins qu’ils ne revendiquent la solidarité des attentats de Fieschi, Alibaud, Lecomte, et de leurs tristes imitateurs. En vain les ministres représentaient-ils à Louis-Philippe la nécessité d’une répression plus sévère dans l’intérêt de la société menacée : appuyé sur les douloureux souvenirs de sa jeunesse et sur les convictions de toute sa vie ; le roi restait inébranlable. L’abolition en fait de la peine de mort en matière politique était de toutes les gloires celle qu’il voulait surtout conserver à son règne. Un jour même sa conscience fut vivement troublée par la lecture d’un journal qui imputait à la politique l’exécution de paysans bretons condamnés à mort par le jury. Sans perdre un moment, il adressa au garde des sceaux, M. Barthe, une lettre dans laquelle éclatait l’anxiété de son ame. L’affirmation d’un ministre qui possédait sa confiance, le souvenir invoqué par M. Barthe de tous les faits de la cause, des appréciations unanimes du président des assises, du procureur-général et du jury, purent seuls lui rendre le calme. Les prétendues victimes des passions politiques et d’un gouvernement irrité n’étaient autres que des assassins de l’espèce la plus cruelle, des chauffeurs déjà frappés par la justice pour vingt crimes différens.

Les mêmes sentimens dictèrent au roi, en 1839, la grace du condamné Barbès. À ses yeux, Barbès était un conspirateur armé contre les institutions du pays bien plus que l’auteur d’un meurtre odieux, et il opposa une résistance invincible à la délibération unanime du conseil des ministres. Je ne siégeais pas alors dans le conseil ; mais une circonstance personnelle me permet de parler en témoin de cette victoire de l’humanité sur les rigueurs de la politique. Mme Karl, sœur de Barbès, avait eu l’idée de recourir à mon intervention. À la cour

  1. La Providence n’a pas permis que ce précieux carnet pérît au milieu du pillage et de l’incendie. Une main fidèle a pu le remettre au roi, pur et intact des atteintes du 24 février.