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amis. Il ne prenait même pas la peine de leur répondre par un fait bien simple et bien authentique : c’est que, dans le cours de son règne, il a accordé aux arts, aux lettres et à la charité trois fois la somme qu’il a donnée dans le même temps aux travaux extraordinaires des palais et des monumens de la couronne. Pour aimer les arts, Louis-Philippe n’avait qu’à se laisser aller au courant de ses souvenirs et aux goûts de toute sa vie. Enfant, il avait reçu les leçons de David[1] ; proscrit, il avait enseigné le dessin à Reichenau. Père de famille, il avait fait naître et développé par l’étude ce goût des arts qui distinguait chacun de ses enfans, et qui, chez une de ses filles, devait s’élever jusqu’au génie. Duc d’Orléans, il avait donné asile dans ses galeries aux œuvres de tous les grands artistes de l’époque ; il avait soutenu d’un patronage efficace le peintre populaire du drapeau tricolore. Il fut donc naturellement conduit à chercher dans les arts un noble refuge contre les soucis et les labeurs d’une périlleuse royauté.

Pendant les cinq mois de séjour que le roi faisait tous les hivers aux Tuileries, une partie de ses journées semblait appartenir de droit au Louvre. Ce n’est pas que le roi eût des heures parfaitement réglées pour chacune de ses occupations diverses ; son caractère, mélange singulier d’ardeur et de persévérance, se serait plié de mauvaise grace à la discipline absolue d’une régularité parfaite. Avait-il commencé un travail, il aimait à le poursuivre jusqu’au bout, sans mesurer le temps qu’il y donnait. Cependant il y avait dans sa vie des habitudes générales. Ainsi, ses matinées étaient consacrées aux affaires de famille, aux intérêts intérieurs : c’étaient les heures de l’intendant-général de la liste civile, de l’administrateur du domaine privé et de l’architecte de la couronne, M. Fontaine. Dans ces conférences du matin, le roi discutait moins les travaux à ordonner le jour même que les projets d’embellissemens réservés à l’avenir, et qu’il aurait voulu exécuter immédiatement ; ces projets faisaient naître de vives discussions, qui commençaient souvent par ces mots : « Je le veux ! » mais qui se terminaient la plupart du temps par ceux-ci : « Vous ne le pouvez pas ! » Les grandes pensées du roi venaient échouer le plus souvent contre les limites étroites et invincibles de son budget.

À midi sonnait l’heure de la politique ; le roi présidait son conseil ou travaillait avec ses ministres. Vers deux heures, lorsque les ordres du jour des chambres législatives appelaient les membres du cabinet au Luxembourg et au Palais-Bourbon, le roi, prenant place à son bureau, signait des ordonnances, examinait quelques affaires, ou s’occupait de

  1. Louis-Philippe, duc de Chartres, avait eu pour maîtres de dessin Carmontelle et Bardin, qui lui donnaient des leçons sous la surveillance de David, toujours présent.