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l’on mettait toujours de côté des boeufs, quelques moutons, des chevaux, que l’on donnait aux principales familles, car, en relevant celles-ci, grace à la constitution féodale des Hachems, on relevait la tribu entière. Si l’homme de grande tente, en effet, jouit de privilèges nombreux, de lourdes charges lui sont aussi imposées, et il n’est élevé si haut que pour protéger tous ceux qu’il couvre de son ombre. Le vol était d’ailleurs une des grandes ressources des Hachems : les tribus ennemies l’apprirent à leurs dépens ; bientôt l’on prit assez de fusils arabes pour constituer une sorte de milice avec contrôle, qui accompagna les colonnes, rendit des services et profita du butin. Au temps du labour, le beylik (état) prêta des grains, les tribus voisines fournirent des boeufs, et, deux ans après, grace aux bonnes récoltes, la tribu des Hachems était remise à flot ; n’offrant plus aucun danger comme ennemi politique, elle assurait, par la responsabilité qui pesait sur elle, la sécurité des routes.

Tout en causant, nous étions arrivés sur le petit plateau d’El-Bordj, où nous devions recevoir l’hospitalité de Caddour-Ben-Murphi. Les grandes tentes de la halte, les tentes de laine blanche, étaient dressées à la porte de l’enceinte qui fait appeler ce lieu le fort (El-Bordj). Un détachement de soldats de la garnison de Mascara s’occupait en ce moment à relever la muraille et à bâtir dans l’intérieur, aux frais des Arabes, des maisons en pierre pour l’agha et ses cavaliers. Le général était enchanté de ces travaux, qu’il regardait à juste titre comme très importans, car l’Arabe ne sera complètement à nous que le jour où, dans tout le pays, la pierre le fixant au sol, il ne tiendra plus seulement à la terre, comme maintenant, par le piquet de sa tente. Il encouragea de ses éloges ces braves soldats, qui, dès que la paix est revenue, quittent le mousquet, prennent la pioche et donnent leur sueur, comme l’instant d’avant ils auraient versé leur sang pour la grandeur de la France. Il était plus de midi quand le général eut fini de tout regarder, et, à cheval depuis cinq heures du matin, nos estomacs criaient famine ; aussi le plaisir fut grand lorsqu’assis les jambes croisées sur les tapis des grandes tentes, nous vîmes arriver les larges plats de couscouss, les ragoûts au pimens et les moutons rôtis. Le couscouss est une pâte de blé dont la farine se roule sur des tamis comme on roule la poudre. Cette pâte, cuite ensuite à la vapeur de la viande, est arrosée au moment où on la sert, soit avec du lait, soit avec du bouillon de mouton, car les Arabes ne mangent jamais de bœuf, à moins d’y être forcés par la faim. Des plats énormes, creusés dans un seul morceau de noyer, reçoivent la pâte et la pyramide de viande bouillie et de légumes qui la surmonte ; puis de petites cuillers de bois sont distribuées aux convives, et tous à l’envi de plonger dans la montagne fumante, d’y creuser un souterrain pour arriver plus vite au centre, où le couscouss se conserve plus chaud, où le bouillon l’a