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Le lendemain, la colonne surprenait les bataillons de l’émir, et depuis cet homme fit faire un grand nombre de razzias au général ; mais aussi le succès de ces entreprises était rendu plus facile par l’habileté de nos soldats. En peu de temps, les Français étaient devenus aussi rusés que les Arabes, et souvent ils les prenaient dans leurs piéges. Parfois, quand la colonne traversait un pays en apparence vide, et que l’on voulait attirer les Arabes qui se cachaient, on envoyait des cavaliers douairs et des spahis qui avaient ôté leur burnous rouge, leur seul uniforme alors, simuler une attaque contre l’arrière-garde. Au bruit des coups de fusil, des broussailles, des ravins, de chaque pli de terrain sortait bientôt toute la population du pays, qui venait prendre part à la fête et recevoir ce que les soldats nomment, dans leur langage si expressif, une bonne frottée. « Avec du pain et des cartouches, on va jusqu’au bout du monde, disait un général de la révolution passant en revue ses troupes en guenilles. — Et les souliers donc, il n’en parle pas, celui-là, » grogna un des soldats. Les troupes du général Lamoricière auraient pu lui faire la même réponse, car bientôt souliers et culottes furent, non pas usés jusqu’à la corde, mais détruits. L’industrie était là, elle tira tout le monde d’embarras : les peaux de bœufs fraîchement écorchés étaient distribuées aux soldats, qui, avec des cordes d’une espèce de joncs nommés alpha, se faisaient des espadrilles excellentes, et remplaçaient pour leurs culottes le drap par le cuir. Les habiles mêmes savaient très bien choisir le cuir de résistance, celui du dos. L’activité du général de Lamoricière ne lui laissait pas une seconde de repos : grace à l’imprévu et à l’entrain de la colonne, les quatre mois furent si bien remplis, qu’à l’arrivée du général d’Arbouville, venu de Mostaganem avec un convoi et des troupes fraîches, le coup mortel était porté au cœur même de la puissance de l’émir. Bientôt de toutes parts allait commencer la dissolution du faisceau qui formait sa puissance.

C’était en effet au pied de Mascara, dans la plaine des Hachems, que cette puissance, que nous avions semblé prendre plaisir à fortifier par une série de fautes, avait pris naissance. À quatre lieues de Mascara, sur le revers de la colline opposée, on voit les ombrages de Cachrou, la zaouia de Si-Mahiddin, père d’Abd-el-Kader, et sur la droite, tout près de la ville, Ersibia, où les chefs des trois tribus des Hachems, des heni-Hamer et des Garabas se réunirent pour nommer un chef qui devait tirer le pays de l’état de désordre où le renversement de la puissance turque l’avait plongé ; car, disaient les sages, l’Arabe a toujours besoin, pour le conduire, d’un homme qui sache manier avec une égale hardiesse le mors et le chabir[1]. Tous les hommes influens,

  1. Tige de fer pointu qui sert d’éperon aux Arabes.