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réponse : « Lors de l’insurrection de Ben-Chériff (1810), il y eut un grand conseil d’hommes à barbes grises, de Turcs et d’Arabes. L’on discuta ce qu’il fallait faire : aller à Mascara ou faire la guerre aux tribus par razzia. Les hommes bons par le conseil et les hommes bons par l’étrier furent tous d’avis d’aller à Mascara. Je n’ai pas la prétention d’en savoir plus qu’eux, et ce qu’ils disaient alors, je le dis aujourd’hui : il faut aller à Mascara et y rester. » L’armée cependant partit pour Tegdempt ; mais l’on fut bien forcé de revenir à l’avis du vieux Mustapha et du général de Lamoricière. Établi, durant l’hiver de 1841 à 1842, dans cette ville, sans approvisionnemens, sans ressources, le général de Lamoricière dut entreprendre et sut mener à bonne fin une campagne qui assura la pacification de la province et porta le plus rude coup à la puissance de l’émir, pendant que le général Changarnier, le montagnard, comme l’appelait le maréchal Bugeaud, par son audace et son énergie, amenait à merci les populations de la province d’Alger.

Bien des gens s’étonnent de la considération attachée à l’uniforme du soldat, même pendant la paix. Ils en seraient moins surpris, s’ils se rappelaient que dans un régiment chaque soldat est l’héritier de ceux qui l’ont précédé au danger. On sait bien aussi que la guerre d’Afrique n’est pas semblable à la guerre d’Europe, que la souffrance y est de chaque heure. Combattez en effet en Allemagne ou en Italie, vous combattez des hommes, des nations où l’humanité est une loi ; le blessé est secouru, le prisonnier bien traité, et, lorsque la bataille est livrée, vos membres fatigués trouvent des abris, des maisons, pour se reposer ; parfois les fêtes se rencontrent sur le passage, et les plaisirs viennent ranimer votre ardeur. En Afrique, dès que la lutte commence, plus de repos. L’ennemi est invisible, il est partout. On marche le jour, on marche la nuit, bravant la rosée froide, le soleil ardent, ou l’hiver venu, les pluies glacées qui s’abattent sur vous des semaines entières. Pour soutenir le corps au milieu de tant de fatigues, on n’a qu’une nourriture insuffisante qu’il faut porter avec soi, et, pour relever le courage, rien, absolument rien, toujours les mêmes visages, toujours l’isolement. Durant des mois, vous n’entendez pas une parole amie, vous ne rencontrez pas un regard qui encourage. Ces souffrances, ces fatigues, l’oubli sera leur récompense ; elles resteront inconnues, et le lendemain n’apportera que le même labeur et une force de moins. Que la fatigue brise le corps, le soldat accablé, si le général prévoyant ne le faisait relever, serait livré à la barbarie de ces tribus que l’instinct du sang rend semblables aux bêtes fauves. Dans la guerre d’Afrique, la mort glorieuse qui arrive au bruit de la poudre n’assure pas le repos ; parfois même, dans l’ardeur du combat, l’inquiétude s’empare du plus courageux ; car au milieu des hurlemens