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sous le harnais de guerre, faisant piaffer les coursiers chamarrés d’or ; pleurons celui qui fut la gloire des cavaliers.

« Tant que les hommes se réuniront, ô Dieu miséricordieux ! ils verseront des larmes sur son trépas, ils passeront dans le deuil les heures et les années.

« Braves guerriers, poussez des gémissemens unanimes sur cette mort si soudaine qui a fermé pour nous les portes de l’espérance.

« Comment est-il tombé dans les ténèbres de la mort, lui si brillant de gloire, laissant ses amis dans l’affliction, comme s’il n’avait jamais existé ;

« Comme si jamais nos yeux ne l’avaient vu ? Ah ! quelle blessure pour nos cours ! Il ne s’élancera plus à notre tête au jour du combat !

« Guerriers, pourquoi vous rassemblez-vous ? Qui pourrait avoir aujourd’hui la prétention de vous commander, d’égaler celui qui remplit le pays de la renommée de ses hauts faits ?

« Souvenez-vous du jour où il fut appelé à Fez par ordre du chériff ; comme il brilla parmi les grands de la cour, plus grand par ses belles actions que tous ceux qui l’entouraient !

« On reconnut en lui le sang de ses nobles ancêtres, et, pour le lui témoigner, le chériff le combla d’honneurs.

« Présens de toutes sortes, chevaux richement caparaçonnés qui semblaient composer à son coursier une escorte d’honneur, on lui offrit tout ce qu’il pouvait désirer.

« Qu’il était beau dans l’ivresse du triomphe, lorsque, sur le noir coursier du Soudan à la selle étincelante de dorure, il apparaissait comme le génie de la guerre ou le dragon des combats !

« Souverain dispensateur de la justice éternelle, tu nous l’as enlevé, et cette mort, ô mes frères ! rend intarissable le fleuve de nos larmes.

« Contemplez ces armes, ces nobles dépouilles, et devant ce spectacle de désolation, vos yeux se consumeront dans les douleurs !

« Comme les rameaux de nos jardins se dessèchent après avoir fleuri, de même, dans ces temps malheureux, les vents et la tempête l’ont emporté dans leur tourbillon.

« Il fut la gloire de notre époque ; mais le flambeau de sa maison s’est éteint depuis qu’il a mêlé sa poussière à la poussière des cavaliers qui l’avaient précédé dans le tombeau.

« Il ne reste plus personne qui puisse remplacer le lion, et ses amis consternés n’ont plus de force que pour remplir la contrée de leur désolation.

« Dieu est témoin que Mustapha-ben-Ismaël fut fidèle à sa parole jusqu’à la mort, et qu’il ne cessa jamais d’être le modèle des cavaliers. »

Au son voilé du chant monotone, nos chevaux avaient ralenti le pas, ils semblaient comprendre la tristesse du cavalier douair ; mais la mélancolie ne pouvait faire longue route avec nous. Les causeries reprirent leur entrain dès que nous eûmes chassé la tristesse et le froid à l’aide de cigares et de la gourde du commandant d’Illiers. Un Parisien ne se doute guère, en voyant les tonnes d’eau-de-vie roulées sur le quai de Bercy, qu’il se trouve auprès du meilleur et du plus fécond encouragement de la colonisation d’Afrique. Le trois-six, le modeste