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grande qu’il était connu sous le nom de Mustapha-et-Haq (Mustapha la Justice). Tous regardaient sa parole comme la meilleure garantie. Jamais, en effet, Mustapha n’y manqua ; il avait promis fidélité aux Turcs : tant que le bey conserva une ombre d’autorité, il resta son serviteur ; dès qu’il nous eut engagé sa foi, il la garda loyalement jusqu’à la mort.

Si jamais vous avez vu le tableau d’Horace Vernet représentant Abraham et Agar, vous aurez vu la figure du vieux Mustapha. C’était la même majesté, la même grandeur ; ce nez aquilin, cette barbe blanche et ces deux yeux étroits comme l’œil de l’aigle d’où jaillissait l’éclair ; son regard fascinait : la volonté, la décision, le courage, étaient gravés sur les traits du noble vieillard ; on sentait en lui un homme que la mort frapperait avant qu’il eût plié. Telle fut aussi l’histoire de sa vie depuis le jour où les tribus arabes de la province d’Oran, délivrées du joug de fer qui pesait sur elles, se livrèrent au désordre et à l’anarchie. L’empereur du Maroc essaya alors d’établir son autorité ; mais, sur les représentations de la France, il dut rappeler les chefs qu’il avait envoyés à Mascara et à Tlemcen. Mustapha et ses Douairs avaient été les derniers à saluer comme sultan le chériff dle l’ouest ; cependant lorsqu’en 1832, trois tribus, pour rétablir l’ordre et la sécurité, avaient proclamé le fils de Mahiddin, El-Hadj-Abd-el-Kader, chef du pays. Mustapha, dans son orgueil d’homme de race, ne put consentir à se soumettre à un homme de zaouia (association religieuse). et, après avoir battu par deux fois celui dont par le traité Desmichels nous fondions la puissance, voyant ses offres au général français repoussées et les pertes qu’il venait de faire éprouver à Abd-el-Kader réparées par les Français, plutôt que de courber le front devant le nouveau sultan, il renvoya sa tribu dans la plaine de la Melata, en lui commandant de se soumettre, et se retira, avec cinquante familles dévouées à sa fortune, dans le mechouar de Tlemcen (enceinte fortifiée), où les Coulouglis[1] se défendaient courageusement. En 1835 pourtant, les Douairs vinrent se soumettre au général Trézel. Un an après, Mustapha, délivré par l’occupation de Tlemcen, se trouvait de nouveau à la tête de ses braves cavaliers, et commençait à nous rendre les glorieux services qui lui méritèrent l’admiration de l’armée entière.

Tous les anciens de nos colonnes d’Afrique parlent encore avec enthousiasme de cet homme à barbe blanche, et se plaisent, dans leurs récits des combats passés, à dire combien le vieillard était majestueux quand il s’avançait debout sur ses étriers d’or, ses haïks flottant au vent, et que, l’œil enflammé, il tirait le premier coup de fusil en s’écriant : Ettlog et goum, découple le goum. Alors tous ses hardis cavaliers

  1. Fils de Turcs et de femmes arabes.