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tout aussi bien que celui de Caddour-le-Brave, dont il était également digne ? Venaient ensuite Adda-ould-Athman, le cavalier de la matinée noire, El-Arbi-ben-Yusef, la tête du goum ; mais le mieux reçu par le général, le plus entouré de respect par les Arabes, c’était un enfant, le fils de ce brave général Mustapha, qu’une balle kabyle avait frappé dans le bois des Flittas. Partout, sur notre route, nous devions rencontrer des souvenirs de la tribu des Douairs et aussi du noble général dont le fils marchait avec nous.

Au moment de notre départ, un vent violent d’ouest balayait les nuages. Dès que nous eûmes franchi la première lieue, nos regards ne rencontrèrent plus au loin que des terrains dénudés, depuis le fort Sainte-Croix et les crêtes arides qui s’arrêtent à l’ouest de Miserghin, jusqu’au grand lac salé, que nous laissions à droite, et aux montagnes du Tessalah, se dressant face à nous sur une ligne parallèle à la mer ; car, du bassin d’Oran, l’on ne peut apercevoir la forêt d’oliviers de Muley-Ismaël. À l’est, près de la mer, on voyait des montagnes, des collines, puis de grandes nappes de terre : partout la tristesse. À mesure que nous avancions pourtant, les tentes de la tribu des Douairs se montraient plus pressées ; nous entrions dans la plaine fertile de la Melata, où les Arabes laboureurs traçaient leur sillon peu profond avec une charrue semblable à celle que l’on retrouve dans les dessins des premiers âges de Rome. Nombreuses et puissantes tribus, les Douairs et les Zmélas, si l’on en croit la tradition du pays, vinrent du Maroc en 1707 au temps du bey Bou-Chelagrham (le père de la moustache), à la suite du chériff Muley-Ismaël ; battus par le bey de Mascara, ils se soumirent, devinrent ses auxiliaires fidèles, et contribuèrent puissamment à chasser les Espagnols d’Oran. Le bey, pour les récompenser, leur donna l’usufruit du territoire des Beni-Hamer, qui s’étaient alliés aux Espagnols, et les établit dans la riche plaine de la Melata, pendant qu’il reléguait les Beni-Hamer de l’autre côté des montagnes du Tessalah, à seize lieues au sud d’Oran. Depuis cette époque, les Douairs et les Zmélas devinrent les instrumens de la puissance turque ; c’était le fouet dont les conquérans se servaient pour châtier les tribus, faire rentrer les impôts ; en un mot, vassaux, ils devaient le service militaire à leur seigneur en échange de certaines immunités, et trouvaient aussi dans ce service de nombreux profits. Ils étaient devenus marghzen de la province. Marghzen, en arabe, signifie magasin, arsenal ; c’est la force prise dans le pays même, et sur laquelle l’autorité s’appuie.

En 1830, lorsque l’arrivée des Français détruisit la puissance turque, les Douairs avaient pour chef Mustapha, le plus considérable d’entre eux par la naissance comme par l’illustration personnelle, car il descendait des Ouled-Aftan, une vieille famille issue des Mehal, les premiers conquérans de l’Afrique, que la politique turque avait eu l’habileté de mêler à son marghzen ; sa réputation de droiture était si