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en souffrance, il voulait aller à Mascara, de là à Mostaganem, et revenir à Oran en longeant la mer par Arzeuw, les Salines et les villages prussiens de la montagne des Lions. Plus tard, dans une seconde course, il devait visiter tout l’ouest de la province ; mais, en attendant que l’heure du départ fût venue, nos journées se passaient au Château-Neuf, dans l’activité et le travail.

Appelé par les Arabes le Fort-Rouge ou Bordj-el-Hamdur, le Château-Neuf a la forme d’un vaste triangle dont la base regarde la mer au nord ; le côté de l’est domine la campagne, et celui de l’ouest la ville. Dans cette enceinte immense, bâtimens, magasins, casernes, ont été élevés, soit par nous, soit par les Espagnols, et là comme dans tous les lieux où ils ont formé des établissemens, ces derniers ont laissé des traces pleines de grandeur. À l’extrémité de la pointe la plus élevée du triangle se trouve le Bordj-el-Hameur proprement dit, l’ancienne résidence des beys, la demeure du général. On arrive, après avoir gravi une pente assez raide et passé une porte voûtée, dans une cour étroite, ombragée par des mûriers. Au fond de la cour, une galerie à arceaux mauresques précède une grande salle que les beys, après s’être emparés de la ville, avaient fait élever. Sous les arcades, à droite, une porte basse s’ouvrait sur un petit jardin abrité des vents d’ouest par une muraille à châssis. Là, de belles fleurs, des plantes grimpantes embaumaient le kiosque où les pachas venaient prendre leur repos en contemplant la ville entière qui se déroulait à leurs pieds, au milieu des ondulations du terrain. Du même côté que la petite porte du jardin, une treille aux grandes vignes s’appuyait à un bâtiment élevé d’un étage, dont la cour intérieure, entourée d’arcades supportant une étroite galerie, rappelait les anciens cloîtres. C’était là que se trouvaient les bureaux de l’état-major et le logement des officiers d’ordonnance du général, qui pouvaient, dans leurs rares momens de loisir, se promener sur une vaste terrasse voûtée dont le rez-de-chaussée servait de caserne. De cette terrasse, on découvrait les rivages de la baie, les cavernes servant de magasins à la douane, Merz-el-Kebir et la grande mer. Mélange du caractère arabe et espagnol, cette demeure portait le cachet des deux races, et l’activité française qui y régnait lui donnait encore un aspect nouveau. Le temps ne se perdait guère en effet au Bordj-el-Hameur ; le général prêchait d’exemple, et la nuit était souvent bien avancée quand l’heure du repos sonnait pour lui.

De service à tour de rôle, nous recevions, — le nombre en était grand, — ceux qui venaient pour parler au général, et que, faute de temps, il lui était impossible d’écouter. Chacun s’occupait ensuite du travail dont il était chargé ; le plus maladroit, — c’était moi, — écrivait d’ordinaire sous la dictée. Le matin, M. de Lamoricière donnait ses ordres, puis l’on se retrouvait à l’heure du déjeuner, où presque toujours