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ravie par un gentilhomme du faubourg Saint-Germain, qui renferma dans son château fort et qui ne lui permit plus de passer l’eau : un M. de Létancourt, je crois.

LE COMTE.

Oui, et fort galant homme, quoique bon catholique. Mme de Létancourt, plus belle et plus charmante encore que vous ne l’avez vue, menait, depuis son mariage, une vie toute sainte. Sans emphase, sans bruit, sans aucun travail visible, elle assistait, nourrissait, consolait une population de pauvres. Elle était aussi heureuse que bonne, lorsque tout à coup le malheur éclata comme la foudre sur sa joie et sur sa vertu. Son enfant fut atteint d’une maladie cruelle. A la fin de la sixième nuit passée auprès de ce pauvre enfant, elle le vit mourir. Elle éveilla doucement la religieuse qui l’aidait dans ses veilles, et qui sommeillait en ce moment-là. — Ma sœur, lui dit-elle, récitons le Te Deum , mon enfant est dans le sein de Dieu. Elle se rendit ensuite à la messe, communia et revint ensevelir son fils unique. On n’entreprit pas de l’arracher d’auprès de lui. Elle y passa tout le jour et toute la nuit suivante, consolant et raffermissant l’âme écrasée de son mari. Le lendemain, elle assista cachée à la messe des funérailles; ses gémissemens ne troublèrent point le grave cantique d’allégresse de l’église, qui ne pleure pas les enfans morts avec la grâce du baptême, parce que Dieu les a reçus dans sa gloire. A son retour, seule auprès du berceau vide, elle osa enfin pleurer; mais on ne le sut que par sa pâleur plus mortelle et par ses yeux gonflés. Le jour même, elle donna aux pauvres ses soins ordinaires, et elle n’a jamais parlé de son enfant ni de sa douleur. Voilà le trait d’une chrétienne,

LA BARONNE.

Ce n’est pas le trait d’une mère; je ne vois là qu’un argument contre la religion qui peut si étrangement endurcir le cœur.

LE COMTE.

Vous m’avez interrompu, madame; je n’avais pas tout dit. Après que la chrétienne se fut soumise, la mère se montra. Elle avait reçu le coup sans murmure, parce qu’il venait de Dieu; mais elle était mère, et elle se meurt, elle va rejoindre son enfant. (A la marquise.) Que trouvez-vous de plus beau, madame, et que pourrait faire de plus grand même votre cœur?

LA MARQUISE.

Rien, monsieur le comte, et, je l’avoue, à moins d’une force qui lui manque encore, mon ame ne saurait rester si ferme en de pareils momens. Dieu veuille conserver Mme de Létancourt et me la donner pour amie!

LA BARONNE.

Et moi, monsieur le comte, j’avoue que je vous faisais tout à L’heure une mauvaise querelle en accusant Mme de Létancourt de dureté. Je disais cela pour ne point pleurer; mais il me faudrait d’autres modèles, et jamais je ne pourrais ni tant me contraindre ni tant souffrir.

LE COMTE.

Permettez-moi de vous dire, madame la baronne, que vous ne savez pas du tout ce que vous pourriez, et qu’il y aura en vous comme on toute autre