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passions.... J’en suis, pour ma part, très convaincu. J’y fais des conditions pourtant.

LA BARONNE.

Voyons. Écoutez bien, marquise.

LA MARQUISE.

Je ne perds pas un mot.

LA BARONNE, à part.

J’ai tout-à-fait dans l’idée qu’on encourage le prédicateur.

LE COMTE.

Cet amour-là... Mais d’abord il est entendu que nous soufflons sur la flamme des pianistes et que nous posons également l’étouffoir sur tous les petits foyers qui s’allument dans la propriété du prochain. Vous m’accordez bien cela?

LA MARQUISE.

Accordons-nous cela, baronne?

LA BARONNE.

Un moment; c’est mon tour d’être à la comédie. Je ne comprends plus.

LE COMTE.

Si vous me permettez d’être clair, je dis, madame, que ceux qui s’aiment sans but légitime ne s’aiment pas. C’est de la coquetterie, un jeu ridicule et dangereux, ou c’est, plus ou moins, l’histoire du pianiste et de la mère de famille. Si la mère de famille avait aimé le pianiste, elle ne lui aurait pas fait perdre sa clientelle, et si le pianiste avait aimé cette belle dame, il n’aurait pas permis qu’elle abandonnât pour lui ses enfans et son honneur. Ainsi les maris ont le droit d’aimer leurs femmes, les femmes ont le droit d’aimer leurs maris, mais rien de plus, ni d’un côté ni de l’autre. Voilà ce que je demande qui soit entendu.

LA BARONNE.

Vous êtes un impertinent, mon cher comte, de vouloir me faire dire oui ou non là-dessus. Vous posez très mal les questions, et je réserve ma réponse.

LE COMTE.

Je vous en conjure, madame, ne me réfutez pas. Je me suis fait des idées sur ce chapitre, et je serais capable, pour les défendre, de parler tout-à-fait breton et tout-à-fait chrétien.

LA BARONNE.

Mais enfin, tyran, vous ne laissez donc rien aux pauvres femmes, aux victimes du contrat de mariage? Il y en a.

LE COMTE.

Madame, si vous saviez tout ce que la religion vous donne pour quelques fades courtisans qu’elle veut vous enlever....

LA BARONNE.

Voyons, voyons, ne prêchez pas. Arrivons à la physionomie du noble amour, tel qu’on le mène en Bretagne et que l’église le permet. Cela doit être compliqué.

LE COMTE.

Il n’y a rien au contraire de plus simple, madame, et cet amour consiste tout bonnement à aimer.