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en rirons de Naples, dans un coin du paradis terrestre. Ils marchaient côte à côte, l’œil morne et la tête baissée, ne rompant le silence que pour échanger des aigreurs toutes conjugales, si bien que je voulus m’en éloigner comme d’un vieux ménage. L’insupportable ennui du tête-à-tête leur fit faire des bassesses pour me retenir. La mauvaise compagnie alors ne me déplaisait pas trop; je les assistai quelque temps. Chacun en fut bientôt aux confidences. Quelle pitié! Dans la réalité, ces malheureux s’abhorraient. Le croque-notes surtout était excédé. — Moi, disait-il, qui suis sans fortune et qui avais une si belle clientelle ! Il m’insinuait que, si je le voulais supplanter, il ne se mettrait pas en travers, et que ce serait une éclatante aventure, propre à bien poser un jeune homme indépendant. Ce serpent ne put m’abuser sur mon peu de mérite ; je pris soin de lui laisser tout entier le cœur de la mère de famille, et je les abandonnai enfin à leur ivresse, non, je crois, sans exciter quelques regrets.

LA BARONNE.

Ah ! monsieur le comte, êtes-vous bien sûr de vous défendre en ce moment de toute fatuité ?

LE COMTE.

De toute fatuité et de toute envie, madame. Depuis le temps dont je vous parle, le pianiste est retourné à ses pédales, et la belle dame, poussant au bout la vocation, a fini par tremper dans l’encre ses doigts amaigris : elle a écrit l’histoire de son cœur, que j’ai eu la curiosité de lire. C’est bien débarbouillé, cependant il y a du vrai, et j’ai vu là qu’on m’avait en effet présenté la coupe; mais j’ai fait comme les enfans de Sparte : le déplorable état de l’ilote en proie sous mes yeux aux nausées me préserva de boire.

LA BARONNE.

Vous tenez à cette similitude. Je vous avertis qu’elle m’agace, et qu’en dépit de vos raisonnemens je ne la trouve ni juste ni galante.

LE COMTE.

Vous me désolez, madame. Je m’aperçois d’un oubli que j’ai fait, et je vous en demande pardon. Quand j’ai vu le chemin que la conversation prenait, j’aurais dû vous avertir que le terrain est scabreux pour nous autres pauvres dévots : nous sommes obligés de dire à peu près ce que nous pensons, même aux dames, même de l’amour, et il y a une franchise chrétienne qui est cent fois plus ingénue que la franchise bretonne. Mon excuse, c’est que j’ai été provoqué.

LA BARONNE.

Pas du tout, monsieur. Rien ne vous provoquait à dire que mes serviteurs sont plus insensés que les ivrognes, et que mes sourires ne valent pas un verre de vin, car voilà ce que vous me faites entendre.

LE COMTE.

M’ordonnez-vous de me taire, madame?

LA BARONNE.

Non, monsieur, parlez; mais parlez humainement.

LE COMTE.

Eh bien! madame, il faut vous satisfaire. Laissons donc les buveurs, et mettons que l’amour est la plus noble, la plus délicate, la plus généreuse des