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LA MARQUISE.

Mais se plaint-elle ?

LA BARONNE.

Voilà le comble : elle se croit heureuse, et son unique souci est de savoir comment elle élèvera ses garçons. Elle a des idées sur l’éducation des hommes. Je vous donne en mille à deviner ce qui l’occupe par-dessus tout : elle veut absolument savoir si M. de Montalembert obtiendra la liberté d’enseignement. Elle dit là-dessus des choses de l’autre monde, totalement incompréhensibles, que son traître de mari écoute d’un air charmé. Enfin, enfin, croirez-vous qu’ils ont passé un mois à Paris sans aller à l’Opéra seulement une fois !

LA MARQUISE.

Quelle étrange existence !

LA BARONNE.

Ce sont des mœurs barbares. Ignorer ou s’ennuyer, et mettre au monde un enfant tous les dix-huit mois, voilà ce qu’on appelle vivre chrétiennement. Entre Florence.)

FLORENCE.

M, le comte est là et demande si madame la marquise reçoit.

LA BARONNE.

L’heureuse rencontre ! Recevez-le, ma chère, et livrez-le-moi.

LA MARQUISE.

Serait-il aussi votre cousin ?

LA BARONNE.

Ils sont tous frères et par conséquent tous mes cousins. Je déteste l’espèce entière.

LA MARQUISE, à part.

Après tout, je ne risque plus rien. (À Florence.) Faites entrer.

LA BARONNE.

Comte, vous venez à propos. Je parlais de vous.

LE COMTE.

Ah ! madame, qu’ai-je donc fait ?

LA BARONNE.

Bien obligée ! Vous pensez que je vous déchirais. Point du tout, monsieur, et je disais au contraire comment, vous ayant vu tout à l’heure à Saint-Roch, vous m’avez édifiée.

LE COMTE.

Édifiée ! Décidément, madame, j’aurais dû arriver plus tôt.

LA BARONNE.

Décidément, comte, vous me soupçonnez de médisance. Non ; je ne péchais que par curiosité. Je l’avoue, je m’épuisais à deviner ce que vous alliez faire à Saint-Roch.

LE COMTE.

Je suis prêt à vous le dire, madame ; mais franchement cela ne vaut pas la peine d’être répété.

LA BARONNE.

Dites toujours. On verra.