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LA MARQUISE.

Quelle comédie avez-vous entendue hier? Je ne vous comprends plus.

LA BARONNE.

Ah! vous me trouvez du style? Eh bien ! je croyais parler tout uniment.

LA MARQUISE.

J’arrive de la campagne; mettez-vous à ma portée.

LA BARONNE.

Je traduis. Je prétends que le comte nous outrage en donnant à croire qu’il a trouvé quelque chose de plus aimable que nous et de plus digne d’amour; car enfin un homme qui se convertit, qu’est-ce que cela veut dire?

LA MARQUISE.

Apprenez-le-moi.

LA BARONNE.

Cela veut dire : Madame la marquise, madame la baronne, parez-vous pour d’autres; ayez pour d’autres de beaux yeux, des sourires, des migraines, des caprices. Tout cela ne me charme plus et ne me désole plus; je n’ai que faire d’y penser; il y a désormais quelque chose qui m’occupe davantage. Serviteur à vos beautés ! Il fait la révérence, s’en va et ne reparaît plus. C’est impertinent.

LA MARQUISE.

Ne connaissez-vous que les dévots qui nous fassent ces injustices? Les affaires, la politique, les chevaux même, pour ne pas descendre jusqu’aux danseuses, finissent toujours par séduire les plus purs, et nous les perdons.

LA BARONNE.

Bah ! les affaires, la politique, les chevaux ne sont que des modes pour attirer notre attention, ou de petites Californie? que l’on remue afin de grossir notre liste civile. Nous sommes au fond de tout cela. Je voudrais savoir quel orateur est jamais descendu de la tribune sans songer au salon où il tiendra le soir quêter nos complimens. Quant aux galanteries, c’est une façon de coquetterie grossière à l’usage de ces messieurs. Telle ou telle femme peut s’en plaindre; les femmes ne sont pas trahies. La chose en elle a si peu d’importance, que nous la pardonnons volontiers. D’ailleurs on peut se venger, mais contre la dévotion, une bonne, franche et terrible dévotion, point de lutte, point de vengeance possible : nous ne pouvons rien, nous ne sommes rien.

LA MARQUISE.

Bah!

LA BARONNE.

Ma chère amie, vous avez un air de tête tout vainqueur; mais vous ne connaissez point cela comme moi. Vous êtes calviniste?

LA MARQUISE.

Pas du tout. Je suis catholique... tiède. J’ai été baptisée à Saint-Sulpice, et mariée à la chapelle du Luxembourg.

LA BARONNE.

Vous n’avez pas reçu, comme moi, une éducation religieuse. Votre père était un illustre savant qui ne vous a point fait pâlir sur le catéchisme de persévérance. Son vieux compagnon, votre mari, grand philosophe....