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LA MARQUISE.

Il a l’air d’un homme de mérite, ce pauvre comte.

LA BARONNE.

Moi, je le trouve encore très bien. Cependant, de l’avis de tous ceux qui l’ont revu, ce n’est qu’une relique. Il s’est converti en Bretagne, d’où il arrive. A peine le rencontre-t-on. Il parle peu, ne pense qu’à son salut : tout le monde croit qu’il prendra les ordres, et que, ne pouvant supporter le spectacle de nos corruptions, il ira s’enfermer dans une chartreuse ou prêcher les sauvages.

LA MARQUISE.

C’est la légende?

LA BARONNE.

Elle est bien plus longue et bien plus attendrissante. Savez-vous la cause de ce changement merveilleux?

LA MARQUISE.

La cause ordinaire, je suppose : une passion?

LA BARONNE.

Justement. Il adorait une danseuse.

LA MARQUISE.

Lui! allons donc!

LA BARONNE.

Remarquez qu’il ne met plus le pied dans aucun théâtre. La danseuse l’aimait aussi. Néanmoins, quoique le comte ne manquât point de magnificence, elle faisait de grands frais de costumes, et.... elle se rattrapait sur la quantité.

LA MARQUISE.

Quelle horreur !

LA BARONNE.

C’est l’usage. Elle ne croyait pas faire mal. Le comte apprit tout et rompit. La danseuse, vraiment éprise, courut après lui. Il lui ferma la porte; elle s’empoisonna.

LA MARQUISE.

Pauvre fille ! Je pense qu’on lui fit prendre un vomitif?

LA BARONNE.

Vous riez; mais rien n’est plus vrai : je le tiens d’un ami du comte. Croyant bien mourir, l’infidèle demandait à grands cris son amant, afin de le voir une dernière fois et d’être pardonnée. Il vint et pardonna. Plus tranquille alors, elle se laissa soigner et....

LA MARQUISE.

Et reprit son commerce.

LA BARONNE.

Que vous êtes dure ! Elle ne reprit point son commerce; elle alla se cloîtrer après avoir dit plusieurs belles choses qui touchèrent le comte, et qui enfin l’ont converti.

LA MARQUISE.

Mais, ma chère, vous me faites un roman-feuilleton.

LA BARONNE.

Un roman historique. Vous verrez si le héros ne prend pas la soutane au