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et de la mer ; il n’est pas touché. Cet attendrissement qui nous fait verser de douces larmes à certains jours de voyage, quand nous avons à la fois la liberté, la santé, et, à défaut de la complète paix de l’esprit, une trêve avec nos peines morales, lord Byron l’a ignoré. Il ne connut pas, dans le bonheur de vivre, ce qui en est le meilleur, le besoin de chercher à qui nous en sommes redevables ; mais cet amour de la nature sans retour vers son auteur nous émeut, faut-il l’avouer ! à certains momens où nous-mêmes nous jouissons de la nature en païens, et où, pour être plus près d’elle, peu s’en faut que nous ne désirions être le bœuf qui paît l’herbe fraîche, l’oiseau qui peut prendre possession des cieux, le poisson qui visite l’abîme mystérieux des mers : courte ivresse des sens, d’où nous revenons, non sans quelque honte, à la pensée religieuse et à un amour de la nature reconnaissant. Byron est le poète de ces momens-là ; il est le poète de ces jours où notre esprit a besoin de se repaître de trouble, et préfère à la paix que lui verserait le beau livre lu d’un cœur « trois fois pur » la fièvre qu’allument en nous des poésies qui caressent nos doutes et nous offrent l’orgueil pour consolation de notre impuissance.

Quand je lus pour la première fois lord Byron, il était à la mode, et la mode m’éloigne de tous les ouvrages qu’elle vante. Leibnitz disait : « Toutes les fois que j’entends dire contre quelqu’un tolle, crucifige, je me doute de quelque supercherie[1]. » Ce qu’il pensait des haines de la foule, il le dut penser de ses amours. Quand on entend crier d’un livre : Pulchre, bene, recte, il faut se douter de quelque illusion. C’est un malheur pour un bon livre d’être à la mode, car, tandis qu’on l’exalte pour ses beautés spécieuses, on n’aperçoit pas ses qualités solides, et, la mode passée, le même oubli menace qualités et défauts. Il courrait grand risque, si, en dehors du troupeau de la mode, il n’y avait pas, pour le préserver d’une disgrace imméritée, des gens sérieux qui lisent les livres d’un esprit libre, et qui vont droit à ce qui dure à travers ce qui fait du bruit.

Comment ne me défierais-je pas de la mode ? elle fait faire des fautes même à ceux qui lui tiennent tête. Voyez autour d’un livre populaire les admirateurs et les opposans : ils sont dupes des mêmes défauts, les uns parce que c’est tout ce qu’ils admirent du livre, les autres parce qu’ils n’y voient que par où il pèche. Le beau échappe aux uns et aux autres : aux admirateurs, faute d’yeux pour le voir ; aux opposans, par leur ardeur à poursuivre son contraire. Ces derniers ne songent pas combien un poète de talent, fût-il entêté de théories, rencontre de poésie naturelle et libre dans l’intervalle des théories, et que de beaux vers lui souffle la muse à l’insu du système. Les modèles

  1. Lettre à l’abbé Nicaise.