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pas un poète descriptif ; mais nul poète ne sent plus fortement la grandeur des scènes de la nature, et n’en reçoit des impressions plus profondes. Formes, lumière, couleurs, harmonies, grandes voix de la mer et des montagnes, murmure des rivières, silence des solitudes, tout ce qui est comme l’ame de chaque lieu, il le sent, il l’exprime ; il parle de la nature, non pour obéir à une convenance du sujet ou de l’art, mais pour se rendre par la pensée la volupté de ses sensations en présence de ces grandes scènes. Avant d’écrire cet hymne magnifique à l’Océan qui termine Childe-Harold, il va de sa personne sur le bord de la mer comme pour empêcher que le travail du cabinet ne mêle quelque artifice de langage à la vérité de ses impressions ; il se remplit de sa présence et touche sa crinière de la main frémissante qui va tracer l’hymne sur le papier.

Il y a entre la nature et de tels esprits de mystérieuses affinités qui les rendent plus sensibles à ses beautés que les autres hommes. Les montagnes inaccessibles plaisent à leur orgueil, les solitudes sourient à leur isolement, leur indépendance n’est nulle part plus à l’aise qu’en présence de la mer, parce que la mer ne porte point de jougs. « L’homme, dit Childe-Harold, marque la terre de ruines ; son empire s’arrête sur ton rivage, sombre Océan… Il ne reste sur ton sein nulle trace des ravages de l’homme, sauf de son propre ravage, lorsque, comme une goutte de pluie, il s’enfonce dans tes profondeurs avec un sourd bouillonnement[1]. » Ainsi parlerait l’aigle de ses cimes familières où la neige du soir efface les vestiges que l’homme y a laissés le matin. Je ne cherche pas de figures ; mais, s’il y a quelque chose dans l’instinct des bêtes qui ressemble aux mouvemens de l’ame humaine, quoi de plus semblable à ce farouche amour de Childe-Harold pour la nature inviolable que ce qui fait aimer à l’oiseau ses montagnes, au lion son désert ?

Les sentimens de lord Byron sont d’ailleurs plus d’un païen que d’un chrétien. Ils rappellent Virgile demandant qui le transportera dans les fraîches vallées de l’Hémus, et le couvrira de l’ombre de ses bois immenses. Pourquoi n’y sent-on même pas le Dieu que Virgile avait entrevu :

Deum namque ire per omnes
Terrasque, tractusque maris ?…


Lord Byron ne pense pas à rapporter à Dieu toute cette beauté de la terre. Ce qu’il aime dans la nature, c’est le refuge qu’il y trouve contre les sociétés ; c’est que là il n’y a plus de lutte avec les hommes ni de controverse avec les opinions. Il se sent affranchi en présence des montagnes

  1. Childe-Harold, chant IV, st. 179.