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combats trouveront une secrète douceur à voir qu’ils n’ont ni souffert le plus, ni souffert les premiers, et ceux qui auront mis leur ame en paix, ou qu’une nature modérée aura soustraits à cette lutte, ne se déplairont jamais aux images de périls qu’ils n’auront pas connus.

Parmi les sentimens les plus habituels à Byron, aucun ne l’a mieux inspiré que son enthousiasme pour la nature. Les beautés des arts et des livres le touchaient médiocrement. Il déclare tout net à Horace qu’il le goûte fort peu. « C’est une malédiction, lui dit-il, d’entendre tes vers sans les avoir jamais aimés[1]. » A Florence, il n’a qu’une admiration de respect humain pour les tableaux et les statues. Il ne veut pas en dire moins que les autres sur des chefs-d’œuvre vantés par tout le monde, et il s’exalte à froid pour ne pas être au-dessous du sujet. Je l’aime mieux confessant qu’il n’en est point touché : c’est, à la vérité, une supériorité et une grace qui lui manquent ; mais ne vaut-il pas mieux ne pas aimer les arts que d’affecter qu’on les aime ? « Ce n’est pas pour moi, dit-il, que, sur les bords de l’Arno, la sculpture rivalise avec sa sœur aux couleurs de l’arc-en-ciel, car je suis plus accoutumé à associer ma pensée à la nature dans les champs qu’à l’art dans les galeries. Mon esprit rend hommage à un ouvrage divin ; mais il cède plutôt qu’il ne sent[2]. » Il en dit encore plus qu’il n’en pensait. Sa correspondance est plus sincère : « Je ne connais rien à la peinture, écrit-il à un ami ; de tous les arts, c’est le plus artificiel, et celui qui en impose le plus à la sottise humaine. Je n’ai jamais vu ni un tableau ni une statue qui ne soit resté une lieue en-deçà de ma pensée ou de mon attente ; mais j’ai vu beaucoup de montagnes, de mers, de fleuves, de paysages, et deux ou trois femmes qui les ont surpassées. »

On s’en aperçoit bien en lisant ses poésies, et pour commencer par où sa lettre finit, les femmes, quel poète plus énergique a peint les femmes avec plus de douceur et de suavité ? Médora, Zuléika, Haïdée, Gulnare sont trop sœurs peut-être, et, pour des filles de l’Orient, on peut leur trouver une subtilité de sentimens qui siérait mieux à des femmes d’Europe et à des chrétiennes : elles n’en sont pas moins charmantes ; on les aime et on y croit ; elles réalisent l’idée qu’on s’est faite de tout temps de l’aimable par excellence, la douceur et la passion. Cependant la critique pourrait y noter quelques traces de convenu ; il n’y en a aucune dans l’amour de lord Byron pour la nature. Il fait très peu de descriptions ; ce qu’il voit, il ne le voit pas pour les autres, et n’en prend pas des croquis pour en composer à loisir des tableaux ; il ne peint pas les objets séparés de l’ensemble, l’arbre sans le paysage, le flot sans la mer, l’étoile sans les cieux. Lord Byron n’est

  1. Childe-Harold, chap. IV, st. 77.
  2. Ibid., chant IV, st 61.