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abriter mes erreurs sous un paradoxe ; j’ai été ingénieux pour ma propre ruine et le pilote diligent dans mon propre naufrage. Miennes furent mes fautes, que mienne soit la punition. Toute ma vie n’a été qu’une lutte, depuis le jour qui, en me donnant l’être, me donna quelque chose qui devait en corrompre le bienfait, une destinée et. une volonté marchant hors de la droite voie[1]. » On voit bien dans ces derniers mots un faux-fuyant de l’orgueil : il dit destinée ou volonté pour que l’alternative laisse la faute dans le doute ; mais l’aveu n’en est pas moins d’un être libre qui s’accuse.

Enfin, à l’insu de son esprit, qui niait les affections humaines, son cœur lui inspirait des vers comme il n’en vient qu’aux doux, mites, et ceux qui croient à Dieu et à la vertu. Outre toutes ses pièces à sa sœur, je citerai cette stance à sa fille sur les joies dont il est privé par le divorce et par l’exil : « O ma fille, avec ton nom a commencé ce client, avec ton nom il doit finir. Je ne te vois pas, je ne t’entends pas ; mais nul n’est plus ravi en toi que moi… Aider au développement de ton ame, épier l’aurore de tes petites joies, m’asseoir pour te regarder grandir, te voir saisir la connaissance des objets, merveilles pour toi ; te prendre doucement sur mes genoux caressans et imprimer sur tes douces joues les baisers d’un père, toutes ces choses sans doute n’étaient pas faites pour moi, et pourtant elles étaient dans ma nature. Tel que je suis aujourd’hui, je ne sais ce qui se passe en moi, mais j’y reconnais quelque chose qui ressemble à tout cela[2]. »

À voir lord Byron de loin, pair d’Angleterre à vingt et un ans, assez riche pour solder des armées, jeune, beau, célèbre, qui ne le croirait digne d’envie ? Si l’on ne fait attention qu’à ses peines réelles, elles n’ont pas excédé de beaucoup la mesure commune : un mariage malheureux qu’il rompt au bout d’un an, l’exil volontaire pour un homme qui aimait la solitude, et qui ne méprisait pas le surcroît d’effet que produit l’éloignement ; tout cela ne forme pas une part extraordinaire des épreuves humaines. Il n’y a d’extraordinaire dans la destinée de lord Byron que la vanité de ses plaisirs de jeunesse, et plus tard, quand vinrent les maux réels, la vanité des dédommagemens qu’il tira de la gloire, de la richesse, des voyages, de l’amour enfin, s’il connut tout ce qu’il en a rêvé. Ses poésies sont pleines des cris que lui arrache le sentiment de cette misère des vies privilégiées, la plus profonde de toutes et la moins réparable. Et quoi de moins à envier qu’une destinée qui donnait, à trente-trois ans, son dernier mot dans quatre vers grimaçans : « A travers la pénible route de la vie, de ses

  1. Epistle to Augusta.
  2. Childe-Harold, stance 115 et 116.