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derniers. Telle est la fougue de ses sentimens personnels, que, dans les sujets les plus étrangers à ce qui le touche, et où il semble qu’il va jouir enfin de son imagination un moment désintéressée, il se jette tout à coup au milieu de son roman, et il donne de force à ses personnages la passion qui vient de s’éveiller dans son ame, ou la fantaisie qui lui traverse l’esprit.

Mais ni l’inconséquence de ces créations, ni l’amalgame presque matériel de la personne du poète et de ses héros, ne peuvent détruire l’impression de vérité qui reste de cette lecture. Ce sont, il est vrai, des êtres chez qui la grandeur et la bassesse, le crime et la vertu sont unis contre la logique et la nature : vous diriez des Chimères, poètes par devant, par derrière héros de romans ; mais telle est la force de leur structure, qu’ils se meuvent librement dans leur incohérence, et qu’ils vivent malgré la nature et la logique. Le feu qui animait le poète a fait de ces métaux divers comme un airain de Corinthe, étrange et indestructible. Si le vrai « peut quelquefois n’être pas vraisemblable, » pourquoi l’invraisemblable ne serait-il pas quelquefois le vrai ? L’esprit ne consent pas à ce qu’une invention poétique qui l’a ému, tout en l’élevant, n’ait pas le caractère de la vérité. Le faux peut émouvoir, témoin un mélodrame ; mais il n’élève pas. Une marque de la présence du vrai, c’est quand ce qui nous touche nous donne de l’estime pour nous-mêmes, et quand nous nous sentons honorés par notre plaisir. Comment sont vrais Childe-Harold, le Corsaire, le Giaour, Hugo, Manfred, Parisina, les prisonniers de Chillon ? Je ne le sais, mais ils sont vrais. Ils vivent comme Achille, Didon, Othello, Phèdre. On peut les moins aimer ; il n’y a pas de théorie critique qui puisse les anéantir. Ils ont accru ce peuple d’élite de l’idéal que les hommes de génie ont créé au milieu de nous de leur propre limon, et sur les types de l’éternel Créateur.

Voilà une première cause de durée pour les poésies de lord Byron. Il en est une seconde, moins contestable peut-être : c’est la vérité des peintures de son propre fonds et la conformité de ce fonds avec le nôtre.

Nous ne sommes pas tous des lord Byron, Dieu merci, quoique beaucoup, au temps de sa vogue, aient cru lui ressembler ; mais tous nous avons quelque chose de sa profonde et incurable misère. Nous la sentons diversement, les uns avec la foi qui l’adoucit par la connaissance de la cause et par le ferme espoir de la guérison, les autres avec l’incrédulité qui l’aggrave. Le mal dont lord Byron a souffert, c’est l’imperfection de toutes les choses humaines, c’est le dégoût qui est au fond de tous les plaisirs, et l’impuissance qui est au bout de toutes les volontés. Ce mal, le christianisme seul a connu par quelles racines il est attaché à notre chair, et quel inextricable tissu il y forme avec les fibres