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Voilà par quelles mœurs la société anglaise se défend contre ce que le temps et les changemens du goût ont laissé de séductions aux poésies de lord Byron. Chez les dissidens, low church, chez les personnes très strictes, et le nombre en est immense, lord Byron est proscrit. Lord Byron et le diable, me disait un Anglais, dans ces saintes maisons, c’est tout un. Les fidèles de la haute église en ont un exemplaire dans leurs bibliothèques, mais point sur la table du salon, et peu l’ont complet. Ne demandez pas d’ailleurs à ceux qui le lisent ce qu’ils en pensent ; une formule d’admiration banale sur la beauté des vers, c’est tout ce que vous en tirerez.

Pour dernier ennemi, lord Byron a affaire à l’indifférence croissante (le son pays pour les livres de haut goût. C’est un mal qui lui est commun avec toutes les nations civilisées, et très certainement avec la France. On croirait être en France, à voir la faveur dont y jouissent les romans. On y parle du nouveau roman de Dickens et de Thackeray comme de lord Byron, hélas ! il y a vingt-cinq ans. Les attentions sont devenues trop molles pour’ les plaisirs sévères et délicats d’une forte lecture, et moitié prudence ; moitié langueur, on n’est pas tenté d’aller chercher des secousses chez un penseur hardi et impérieux. Les poètes s’en vont de notre Europe industrielle et économique. On ne demande plus aux lettres ni de fortes méthodes pour penser, ni des enseignemens pour se conduire, ni ces voluptés secrètes qui rendent indifférent aux faux plaisirs ; on leur demande des distractions après les travaux de la vie active ou contre les inquiétudes que jettent au sein des sociétés les plus prospères les prophéties et les menaces de l’esprit démocratique. Ce serait un sort trop beau, si l’Angleterre, qui défend si bien ses mœurs contre ses poètes, avait su défendre avec le même succès son goût d’il y a un siècle pour les hautes lettres contre les inventions de ses romanciers. Il n’est donné à aucune société de n’offrir point de prise au temps, de faire des profits sans pertes, et de changer sans s’altérer. La société anglaise fait assez pour elle-même et pour l’exemple en sachant concilier la civilisation avec la religion, le changement avec la durée, et en perfectionnant son sens moral au milieu des causes les plus propres à le corrompre. Son secret est dans l’union de ces deux mots si connus, ou plutôt des deux choses corrélatives qu’ils expriment : self-government, self-denial, gouvernement de la nation par la nation, abnégation volontaire, ce qui veut dire un peuple qui sait garder sa liberté, parce qu’il sait se gêner.


IV. – DES BEAUTES DURABLES DE LORD BYRON.

Tels ont été pour lord Byron les retours de la popularité dans ces dernières années. Dirai-je maintenant ce que pensent de ce poète les