Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/443

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

père prie à côté de son fils, le mari à côté de sa femme, le frère à côté de sa sœur, le maître à côté du domestique. Dieu, qui connaît le fond des cœurs, sait si, dans cette assemblée recueillie et courbée sous la parole qui descend de la chaire chrétienne, il est un père qui ne songe qu’à s’assurer de l’obéissance de son enfant, un mari qui s’associe à la piété de sa femme parce qu’il en a besoin, un maître qui se fait hypocrite au temple pour être impunément dur à la maison ; l’étranger qui entre sous ces voûtes n’y voit qu’un devoir public dont personne ne se dispense, et un moment d’égalité pour tous en présence du père commun.

Jamais peuple n’a autant fait que l’Angleterre contemporaine pour propager et entretenir sa foi. Jamais civilisation plus avancée n’a mis plus de ressources au service de la religion. L’esprit du protestantisme étant de faire lire les livres saints, il n’est moyen qu’on n’emploie pour y attirer les lecteurs. C’est pour la Bible que la typographie et les arts du dessin réservent leurs embellissemens les plus ingénieux. On ne voit que Bibles illustrées de gravures représentant les lieux, les personnages avec leurs costumes, l’intérieur des maisons, et jusqu’aux meubles et ustensiles, s’il en est de mentionnés dans le texte. Les Bibles des sectes dissidentes sont moins ornées ; mais elles contiennent tout au moins de petites cartes des lieux saints relevées d’après les travaux des meilleurs géographes. On peut, quoique catholique, préférer cela aux cœurs percés de flèches et aux grossières estampes de certains de nos Paroissiens.

Je n’examinerai pas si cette science un peu matérielle de la religion vaut l’ignorance délibérée et cette petitesse devant l’incompréhensible que nous enseignent les grands docteurs du catholicisme. Il n’est pas question de décider entre deux églises ni entre deux sortes de pratiques religieuses. Je juge seulement l’effet de ces usages sur les mœurs de la nation, et je l’admire. Cette association des idées positives, si fort du goût des Anglais, avec le dogme, tourne au profit du dogme. La jeunesse qui a appris la religion dans des livres où l’on a su intéresser sa curiosité à sa foi en garde des impressions qui, jointes à l’habitude des devoirs religieux, peuvent suffire quelquefois pour écarter le doute, et suffisent certainement pour entretenir le respect. L’imagination à laquelle s’adresse cet art ingénieux n’est sans doute pas celle qui s’exalte par l’idée seule du mystère et qui fait quelquefois des fanatiques ; c’est l’imagination d’un peuple essentiellement pratique, qui veut se rendre présente l’histoire du christianisme et connaître, autant qu’on le peut par les représentations des arts, le pays d’où lui sont venues ses croyances. « L’Anglais, disait dernièrement lord Palmerston, est éminemment touriste. » C’est pour cela que le protestantisme accommode ses livres au goût du pays ; la Bible illustrée est une Bible de touristes.